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C’est un fait évident que dans l’Europe entière, dans cette Europe mal équilibrée, sourdement agitée, qui vit toujours dans l’attente ou la crainte du lendemain, les questions sociales prennent par degrés plus d’importance que les questions de diplomatie ordinaire. Ces questions sociales, elles ne sont pas tout, sans doute; elles se mêlent néanmoins de toutes parts à la politique. Elles occupent tous les parlemens, elles sont l’objet des discours des princes et même de M. le président de la République dans ses voyages. Elles se retrouvent jusque dans l’encyclique si souvent annoncée que le pape vient de publier, et où le saint-père, avec sa foi religieuse, aborde ce redoutable problème de la condition des prolétaires. Elles ont été la raison ou le prétexte de ce mouvement étrange qui à jour fixe a remué l’Europe au commencement du mois et qui n’a pas tardé à s’apaiser dans la plupart des pays. Tout le feu du 1er mai s’est à peu près éteint à la surface de l’Europe. Il n’y a guère que la Belgique qui ait continué à s’agiter, livrée à tout ce mouvement de grèves, de manifestations, de tumultes persistans dans les bassins de Liège, de Mons, de Charleroi. Les grèves avaient commencé avant le 1er mai, elles ont persisté après, au milieu des incidens, des désordres inévitables et des violences. La Belgique a passé plus d’un mois sous le coup de la menace d’une suspension générale du travail, et, en attendant, troublée par des chômages partiels, par les échauffourées ouvrières qui ont nécessairement appelé les répressions. Le gouvernement a fait ce qu’il a pu pour maintenir l’ordre partout, et en Belgique même aujourd’hui le mouvement tend à s’apaiser. Seulement ici, ce n’est plus exclusivement une campagne de revendication ouvrière ou sociale. Agitation et apaisement sont dus à une circonstance particulière. La grève n’est qu’une pression organisée dans un intérêt politique, pour conquérir la révision de la constitution et le suffrage universel.

Par le fait, dans cette lutte, où la grève est peut-être pour la première fois employée comme un moyen politique, ce sont les meneurs de l’agitation belge qui ont au moins l’apparence du succès, et s’ils ont donné le signal du désarmement, c’est qu’on a désarmé avant eux. Après bien des discussions, des délibérations et des tergiversations, la section centrale du parlement de Bruxelles s’est décidée à se prononcer pour la révision constitutionnelle. Bien des questions restent sans doute encore en suspens; il n’y a rien de fixé pour les conditions nouvelles de l’électorat. Le principe du moins est admis ; on peut dire dès ce moment que la question de l’extension du suffrage universel est tranchée en Belgique, et ce vote du 20 mai a été célèbre partout, à Bruxelles, dans les centres de l’agitation ouvrière comme une victoire. Le conseil-général du parti ouvrier, qui avait suivi le mouvement bien plus qu’il ne l’avait conduit, a profité de l’occasion pour ressaisir la