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et pourrait aller contre le but qu’on se propose ; il risquerait plutôt d’être exploité par les adversaires de la république dans une région où M. Carnot aurait été sûrement reçu comme il l’a été partout. Le langage qu’on a prêté à M. le président de la république serait de plus en contradiction avec tout ce qu’il a dit pendant sa récente et brillante excursion, avec tout ce qui se dégage de cette promenade à travers nos provinces. Car enfin de quoi est-il sans cesse question dans ce voyage du Midi ? On parle toujours de l’apaisement, de l’union, du rapprochement de tous les Français sous le drapeau national. Les chefs du clergé, sans déserter bien entendu les intérêts qu’ils ont à défendre, sont les premiers à attester leur « soumission aux pouvoirs établis. » Que dit de son côté M. Carnot au président du conseil-général à Tarbes? « Quelles que soient vos opinions, je vous accueille avec les mêmes sympathies, car je représente ici la France entière. » Que dit-il à Pau? « Je suis heureux de trouver dans ce beau département cet esprit de tolérance et de libéralisme qui laisse les opinions vivre côte à côte sans se froisser et qui permettra de concentrer les efforts de tous vers un but commun : la prospérité de la France et de la république... »

C’est le langage d’un chef d’état ! Et si on parle tant d’apaisement, c’est qu’on sent apparemment qu’il n’existe pas encore, qu’il est cependant une nécessité, qu’il répond au vœu intime des populations. Où donc est l’obstacle, l’unique et sérieux obstacle? Il n’est sûrement pas dans les intentions de M. le président de la république, il est encore moins dans le pays. Il n’est et ne peut être que chez les républicains à l’esprit étroit qui subordonnent l’intérêt à leurs passions de parti, qui s’obstinent à faire de la république un régime de coterie et de secte, qui répondent par des suspicions et des exclusions aux paroles de paix. M. le président de la république n’aurait pas perdu son temps si par son voyage il avait contribué à donner plus de force à cette politique de modération et d’apaisement, qui est dans tous les esprits sensés, qui ne cesse pas d’être un des premiers intérêts moraux du pays.

Tandis que M. Carnot parcourait une partie de la France, fêté partout et semant les bonnes paroles, cependant le parlement restait ici tout entier à des questions qui sont d’un autre ordre, sans doute, mais qui n’ont pas moins d’importance et pour la fortune matérielle et même pour les relations politiques de notre nation. Depuis plus d’un mois, en effet, se déroule au Palais-Bourbon cette longue discussion qui va décider du régime douanier de la France. Elle a été certes aussi brillante que sérieuse, cette discussion, qui n’a peut-être rien de bien nouveau par elle-même, puisqu’elle s’est reproduite plus d’une fois dans notre parlement, qui a du moins été pour ainsi dire renouvelée par l’habileté et l’art des combattans. La bataille a été vive,