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est revenu ; il retrouve sa femme obéissante et fidèle, mais auprès du berceau vide. Tous deux alors s’agenouillent ; contre le démon imprudemment défié, ils invoquent Dieu et sainte Agnès. La croix de l’autel resplendit et le triptyque s’ouvre, laissant voir aux pieds de la sainte le petit enfant endormi.

Voilà le fond un peu pâle sans doute, un peu monotone et immobile au point de vue dramatique, d’une œuvre dont la forme est belle; œuvre de théâtre, non pas, mais œuvre d’art et de poésie, de poésie lyrique surtout, d’où s’envolent les strophes exquises ou puissantes ; légende de foi et d’amour, pure, pieuse et douce comme une relique du moyen âge, vitrail d’église ou feuillet de missel. Griselidis, après le Noël de Maurice Bouchor, c’est encore un heureux écart du chemin, trop souvent boueux, où nous marchons; sous quelques fleurs de la rive, c’est une anse retirée à l’abri du courant et des impuretés qu’il roule. Il fait bon d’y boire en passant. Bénis soient les rêveurs qui regardent encore en arrière, fût-ce dans le vague, et que lassent à la longue deux mots et deux choses dont on abuse étrangement : réalisme et modernité. Un mystère, ce titre seul aujourd’hui délasse et console et c’est une rare jouissance d’entendre parler des choses merveilleuses, des choses pas vraies, les plus belles parfois ; des choses qu’on ne sait et ne démontre pas, mais qu’on sent, qu’on croit et qu’on aime.

Deux personnages malheureusement gâtent le charme de Griselidis: le diable et surtout sa femme. Je sais bien que dans un mystère le diable est pour ainsi dire de style ; il est tout à fait moyen âge, à sa place ici avec ses cornes et ses griffes comme sous un porche de cathédrale. Mais j’aurais voulu un autre diable : sinon pareil au Satan de Milton, du moins tragique et douloureux comme le Lucifer d’Eloa; ou bien, dans un genre opposé et plus conforme peut-être aux idées du temps, le véritable Malin, grimaçant et gouailleur, un Méphistophélès, avec moins de philosophie que dans Faust et plus d’amertume encore, le diable enfin avec l’esprit de Voltaire, l’homme qui peut-être lui a le plus ressemblé. Au lieu de cela, MM. Silvestre et Morand nous ont donné un diable de mauvais goût et de mauvais ton, fantoche d’opérette ou de mascarade, compère de revue, quelque chose comme le Pluton d’Orphée aux enfers égaré dans un tableau de Memling. El pour comble de malheur, ils ont marié cet insipide démon avec une Mme le diable (un rôle pour Mme Desclauzas), maîtresse femme et bonne enfant, plus vulgaire encore que son époux, qui le mène, le malmène et le trompe. Et vous devinez alors à quel comique glacial, à quelles plaisanteries usées peuvent prêter les querelles et les adultères du ménage infernal.

Une fois pourtant, une seule, le personnage s’ennoblit et le diable