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de rire, en jetant sur leurs fils un regard d’orgueilleuse complaisance : ces guenons, nous dit-il, adorent leurs petits. Piqué au vif, il se promit de le prendre de haut, et à peine fut-il arrivé au grand Kraal d’Elbejet, il tint aux anciens ce discours : « Vous devez savoir que les blancs comme les noirs se divisent en races très diverses. Il y a cinq ans, un Européen a séjourné chez vous; mais il appartient à une espèce aussi différente de la nôtre qu’un Wakikuju peut différer d’un Massaï. Ce blanc était un Anglais, et vous l’avez traité sous jambe. Moi qui vous parle, j’appartiens à la race des Allemands, des Badutschi, et sachez bien qu’un Allemand meurt plutôt que de souffrir qu’on se moque de lui. Si vous ne voulez pas accepter mes propositions pacifiques, me fournir des guides pour aller au lac Baringo et me vendre quelques ânes, vous n’avez qu’à le dire et vous aurez la guerre. Quant au tribut, je ne le paierai jamais. »

Le docteur Peters a encore pour principe, — comme on sait, il en a beaucoup, — qu’à la guerre il faut toujours prendre l’offensive. Il se procura facilement un casus belli, et dans la nuit, accompagné de trente-cinq de ses hommes, il surprit Elbejet, où tout dormait. Après une courte résistance, hommes, femmes, vieillards, enfans s’enfuirent en désordre, laissant sept morts sur le terrain. Le docteur se trouvait maître d’Elbejet, qui commande tout le pays, et il s’était emparé d’un troupeau de plus de deux mille têtes. Il retourna aussitôt à son camp, et donna à sa colonne l’ordre de se mettre en marche. On avait une forêt à traverser; on s’y heurta contre les fiers Elmoran, accourus comme une troupe de loups pour venger leur affront. L’affaire fut très chaude; mais une fois de plus le fusil à répétition triompha des lances empoisonnées, et le vainqueur mit le feu aux quatre coins d’Elbejet : « Au moment où en Allemagne toutes les cloches de l’Avent appelaient les fidèles dans les églises, nous entendions le crépitement sauvage des flammes qui s’élevaient de toutes parts au-dessus du grand kraal. » Dans ce second combat, près de 120 Massaïs avaient succombé, tous frappés par devant; on coupa la tête aux cadavres, on fit rouler ces têtes du haut de la colline en bas, et le docteur croyait toujours entendre le tintement lointain des cloches de l’Avent, qui murmuraient: « Paix au ciel et sur la terre! « s’il aime passionnément les batailles, il n’aime pas moins les ironiques contrastes qui parlent à l’imagination.

Son triomphe lui coûtait cher : il avait perdu sept hommes, et ce qui était plus grave, ses Somalis avaient brûlé 900 cartouches, il n’en restait que 600. Il s’écriait avec Pyrrhus : « Encore une victoire, et c’en est fait de nous! » On continua d’avancer, sans guide, presque au hasard ; la marche était pénible ; on avait soif, on ne trouvait point d’eau. On incendia d’autres kraals, mais les vengeances ne désaltèrent point.