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du détail, par la simultanéité et l’harmonie des actions, une intensité de vie et une réalité d’effet que ne peut donner aucun développement littéraire. Rien ne prouve mieux que cette peinture de quelle utilité sont pour l’artiste le plus sincèrement naturaliste les habitudes réfléchies d’une intelligence cultivée.

C’est par une disposition toute différente, mais non moins expressive, de la lumière, que M. François Flameng a donné toute leur valeur aux types d’Alsaciens et d’Alsaciennes qu’il analyse avec une perspicacité singulièrement fine et aiguisée. Le cortège du baptême s’avance, au jour tombant, sur une haute terrasse, d’où l’on domine les clochers et les toits de la ville basse. La lumière, douce et reposée, venant de côté, détache lentement, sans brusquerie ni dureté, sur le fond légèrement embrumé, les silhouettes et les profils de toutes ces bonnes gens. Il eût été facile à M. Flameng de faire comme tant d’autres et de nous laisser sur cette impression passagère et sommaire d’une bonne disposition des groupes dans un éclairage convenable; mais M. Flameng est un observateur sérieux et un dessinateur convaincu. Il a poussé les choses à fond, et, sans rien enlever de son charme à l’ensemble, il nous a donné, dans la mère qui porte le nouveau-né, dans les parentes qui l’accompagnent, dans la vieille femme qui distribue les dragées, dans les gamins qui les reçoivent, dans les flâneurs assis qui regardent passer la fête, toute une série de figures variées et excellentes, d’une individualité vivement et délicatement caractérisée aussi bien dans l’habitude du corps que dans l’expression du visage. Ce n’est plus là seulement de l’habileté courante d’un illustrateur expérimenté ; c’est de l’art, de la science, de la conscience.

On peut constater, d’ailleurs, une tendance de plus en plus marquée chez les peintres de mœurs populaires et de scènes domestiques à choisir, dans la vie ordinaire, des épisodes d’un intérêt général se prêtant à la fois à des développemens pittoresques et expressifs. Il n’y a pas de mal à cela, et pourvu que la sentimentalité n’altère pas la qualité de la peinture, nous ne sachions pas qu’il y ait des lois éternelles interdisant aux peintres de nous émouvoir et de nous toucher, comme le peuvent faire les poètes et les romanciers. L’Angélus, l’Homme à la houe, les Glaneuses même de Millet, le 1814 de Meissonier, doivent, en grande partie, leur valeur à l’émotion profonde qui s’en dégage. Nous reconnaissons parfaitement le droit à des artistes de nous faire assister à des spectacles douloureux et tragiques, pourvu qu’ils s’y servent de la langue qui leur est propre et que leur sensibilité s’exprime par un bon dessin et par une bonne couleur. Si les pleurnicheries de Greuze nous laissent froid, parce qu’elles sont mollement et prétentieusement