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L’amour de la grande lumière, d’une lumière moins chaude, mais plus légère et plus fraîche, éclate aussi dans la composition héroïque de Penthésilée ou le Combat des Amazones, par M. Micheléna. Les crêtes des montagnes, qu’illuminent, de flanc, les lueurs douces du crépuscule, lui forment un fond d’une solennité assez grandiose. C’est un artiste aussi, sinon un savant peintre, le jeune homme qui sait distribuer, dans un paysage brillant, tant de groupes équestres, d’un mouvement rapide et hardi. Les grands chevaux, saisis à la bride par des soldats, qui se cabrent sur les cimes des rochers, à gauche, en découpant leurs silhouettes fantastiques sur la clarté fine du ciel, l’Amazone, en bonnet rouge, qui s’enfuit, en regardant derrière elle, sur un cheval blanc, la Penthésilée, qui, emportant une de ses compagnes blessées, entraînée sur la pente, au galop de sa monture effarée, lève sa hache pour parer le coup de lance que dirige vers sa poitrine un guerrier grec, tapi avec deux de ses compagnons (serait-ce le vaillant Achille?) dans une anfractuosité, le cheval renversé qui tombe, avec sa cavalière, du haut du plateau dans un précipice, sont tous des morceaux audacieux, d’une allure assez vive et d’une intention épique. M. Micheléna a le sentiment de la forme en mouvement et le désir du grand dessin, mais il est clair que ses études techniques ne sont pas assez fortes pour lui permettre d’exprimer, avec la vigueur nécessaire, ce qu’il aperçoit et indique assez nettement. Sa facture est, en général, beaucoup trop mince, transparente, vitreuse pour des figures d’une telle dimension. Presque tous ces beaux corps sont mous, sans os et sans muscles; quelques-uns même, notamment celui de l’Amazone étendue au premier plan, sont mal bâtis et mal modelés. Malgré toutes les traces d’improvisation et de hâte, malgré de nombreuses réminiscences trop visibles, l’œuvre n’en reste pas moins intéressante parce qu’elle nous révèle chez M. Micheléna une ardeur d’imagination poétique et un goût des colorations claires qui ne faisaient nullement prévoir ses tableaux d’intérieurs populaires, d’un sentiment ému et communicatif, mais d’un style commun et toujours tenus dans la gamme noire et triste. Il nous reste à souhaiter que M. Micheléna, Américain d’origine espagnole, ne s’abandonne pas, comme la plupart de ses compatriotes, à une facilité de pinceau qui dégénère vite en une pratique brillante, mais insignifiante et insupportable. Avec ces Méridionaux pleins d’entrain, on est toujours exposé à des déceptions ; la plupart n’ont que la beauté du diable, C’est ainsi que M. Checa, dont le public avait fort goûté, l’an dernier, la Courte de chars romains, pour des qualités de mouvement et d’entrain du même ordre, nous fait déjà craindre que cette œuvre n’ait été qu’une belle saillie de jeunesse sans lendemain.