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la main blanche, elle le sait aussi, et en badine, mais elle voudrait bien n’avoir pas sujet d’en badiner... »

La même année, — ces lettres sont de 1766, — Belle fit avec ses frères un séjour en Angleterre, où elle fut très fêtée et reçut les hommages les plus imprévus. « J’ai été malade, écrit-elle librement à son « confesseur » d’Hermenches : mon apothicaire est devenu amoureux de moi ; mon médecin, le vieux sir John Pingle, ne parle que de moi à la reine et à tout le monde. » Elle alla à la cour, vit le monde, et ses lettres d’alors sont une peinture curieuse de la haute société anglaise au siècle dernier. Elle rencontra à Londres un homme célèbre, David Hume, qui vint la voir et qu’elle invita à dîner. La page vaut d’être citée :

« De quoi pensez-vous que nous ayons parlé? — Du roastbeef et du plum-pudding ! Mais nous parlions bien moins que nous ne mangions. Je suis dans des loggings avec mes frères, et on nous apporte à dîner de la taverne; ainsi nous n’étions pas servis régulièrement à point nommé : le rôti vint avant qu’on n’eût pris congé du pudding; en attendant, on le mit auprès du feu. Un petit chien arrive, va droit à la poularde, et l’aurait sans doute emportée, si David Hume ne l’eût doucement retenu. Pour moi, vous voyez bien que je l’aurais laissé manger et poularde et asperges, quoique je ne sois pas un grand philosophe ni un historien. J’aimai beaucoup ce soin de M. Hume, et ses manières honnêtes et, simples. Un de ses amis qui était du dîner raconta quelques histoires fort bonnes; on n’eut point d’autre esprit. Après le café, nous jouâmes trois Roberts de Whisq (sic) et puis nous nous quittâmes... Il me semble que j’ai du bon sens ici; j’espère qu’il me suivra en Hollande... Je pars avec regret, non que je m’amuse beaucoup ici, mais je suis libre et l’on ne me hait pas comme en Hollande. Il est si doux de n’être pas haï, de n’avoir point de prévention à détruire, ni d’imprudences à réparer. Il me semble que je donnerais bien la petite réputation que j’ai acquise contre la commodité de n’en avoir aucune. Quelqu’un me demandait l’autre jour si je savais écrire en français : cette personne au moins ne médit pas de mes lettres et ne dit pas que ce petit conte que j’écrivis[1], il y a trois ou quatre ans, soit horrible et scandaleux. »

En rentrant en Hollande, elle trouve « les rues et les vitres bien propres, mais le pays si monotone, l’aspect de toutes choses si insipide. » « A La Haye, poursuit-elle, je trouvai des propos ridicules et lâcheux établis sur mon compte ; cela me mit de plus mauvaise humeur encore que la maussade campagne : « Une

  1. Le Noble.