Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/615

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

desséché son âme, et qui perce à chaque page de ses lettres? Car elle est sceptique jusqu’aux moelles ; écoutez-la : « Je fus dévotement à l’église; le ministre s’embrouilla si bien dans une définition de la foi, que la mienne n’en fut point du tout éclaircie, ni mon cœur plus attaché à nos sermons. »

Elle n’est dupe de rien, disciple de personne :

« Je lis les enseignemens des théologiens avec ennui, ceux des esprits forts avec horreur, ceux des libertins avec dégoût... A quatorze ans, je voulais tout entendre, mais j’y ai renoncé depuis... Une sorte de scepticisme fort humble et assez tranquille, c’est là que j’en suis restée; quand j’aurai plus de lumière et plus de santé, je verrai peut-être des certitudes ; à présent, je ne vois tout au plus que des probabilités et je n’éprouve que des doutes. Mais quand je serais passionnée pour la métaphysique, cela n’incommoderait personne... Les prétentions à l’esprit, c’est aussi une enfance que je crois à peu près passée chez moi. Je ne pense plus du tout à montrer une chose qui se montre d’elle-même quand elle existe, et qui perd toujours la moitié de ses grâces à être affichée, présentée aux écouteurs avec dessein, avec empressement... Quand j’étais petite fille, je plaçais vite où je pouvais une belle idée, mourant de peur que l’occasion de la dire ne revînt jamais. A présent, ma vanité est plus raffinée et plus tranquille... »

Elle ne croit guère aux vertus exceptionnelles : « J’admire comme je dois les héros et les martyrs, mais je trouve dangereux de se mettre dans le cas d’avoir longtemps besoin de l’être... » « Mon dessein est d’être honnête femme ; mais il y a cent mille maris avec qui cela me serait si difficile, qu’il n’y aurait à répondre de rien. Dieu me garde d’un sot! Vraiment, c’est une chose bien difficile que de me bien marier, et ce serait une terrible chose que de me marier mal!.. Je voudrais être la femme d’un honnête homme, femme fidèle et vertueuse ; mais pour cela il faut que j’aime et que je sois aimée. »

Ces aveux sont graves, même en faisant la part du paradoxe. Que devait-on penser à Utrecht d’une demoiselle qui faisait dépendre la vertu du thermomètre et qui s’écriait : « Est-il plus vertueux d’être née au Groenland qu’en Italie ! » Et combien cet esprit vif et primesautier devait souffrir impatiemment le perpétuel désaccord avec son entourage !

Elle se réfugiait dans sa chambre, où toute sorte d’occupations remplissaient ses heures. Son clavecin (elle était fort bonne musicienne et a composé plusieurs opéras) tenait une grande place dans sa vie ; elle peignait agréablement, et reçut les leçons de Latour ; surtout elle lisait, et c’est sans doute à ses lectures de jeune fille, en même temps qu’à ses réflexions solitaires, qu’il faut demander