Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/600

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de bambou avec le vainqueur, et celui-ci lui donne tout à son aise le coup de grâce.

L’argent est un puissant mobile dans la vie des Balinais ; supprimez ce mobile et les combats de coqs n’auront plus de raison d’être. Aussi, le gouvernement hollandais trouverait-il un sérieux obstacle s’il s’avisait d’interdire ces spectacles sanglans, comme il l’a fait, par exemple, dans tout Java.


Nous l’avons vu, le souci de ses intérêts explique la plupart des pratiques religieuses de l’indigène de Bali. Si ce dernier implore, à époque fixe dans l’année, la clémence des génies bienfaisans, il a aussi des jours prévus pour conjurer les génies malfaisans. On nous apprend justement que, ce soir, les habitans de Boeleleng chasseront, à grand bruit, les démons.

La nuit tombée, en effet, des clameurs affolées, grandissantes par instans, s’élèvent de partout; partout, avec acharnement, sonnent des gongs et retentissent des cloches de bois. L’effet de ce tocsin contre l’esprit du mal est grandiose et effrayant, à la fois, dans son étrangeté. Les portes des quartiers d’habitations sont ouvertes, toutes grandes ; les démons sont expulsés, répandus sur les routes. Subitement, le vacarme cesse; les habitans jugent que l’intérieur de leurs murs est purgé des bandes maléfiques, et ils s’empressent de fermer, de cadenasser les portes pour empêcher ces bandes de rentrer... Alors, voici qu’au bas du ciel surgit, sans qu’aucune aurore lunaire l’ait fait prévoir, un croissant d’or vert d’où ne s’épanche aucune lueur dans le ciel ; c’est à peine s’il fait pâlir le scintillement des étoiles, c’est à peine si la nuit en devient plus claire. Sous ce morne flambeau, les démons vont à l’aventure, errant à la recherche d’un gîte, d’une porte ouverte.


16 avril.

... Les portes restent fermées; aucun habitant ne sort de chez lui. Ils errent encore, les démons; ils erreront tout le jour. Le soir venu, convaincus qu’il n’y a plus de gîte pour eux dans la ville et que celle-ci a été abandonnée, ils s’éloigneront, se disperseront dans la campagne... et les indigènes reparaîtront sur les routes.

Journée mélancolique ; nous demeurons à la résidence, car les Européens se font un scrupule de respecter la superstition balinaise... Au lointain, entre les arbres, luit le bleu incertain de la mer; ici près, la route est déserte, la route peuplée de démons. Ce jour de silence est le dernier jour que nous passons à Boeleleng. Demain, à l’aube, le petit vapeur qui est mouillé devant