Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/598

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bambou, cinglent le dos des récalcitrans. La justice est rendue en plein air, à l’ombre d’un toit qui repose sur des piliers. — De la prison, nous accourons à ce fragile édifice judiciaire. A la gauche d’un fonctionnaire hollandais qui préside, trois prêtres prennent place dans des fauteuils. Parmi eux, se trouve le prêtre de Sangsit qui nous reconnaît et nous salue en souriant toujours. Ses collègues sont un peu moins âgés que lui, mais tous trois sont maigres et de haute taille, vêtus et coiffés de même : longue chemise flottante, sarrong collant, tresse ramenée et tordue en chignon[1]. Tandis qu’ils se sont assis pour remplir les fonctions de juges, deux jeunes officiers de justice, des kantya viennent s’accroupir devant le fonctionnaire hollandais; ils ont la taille mince et souple, des traits d’une extrême finesse ; leurs doigts effilés, des doigts de mains oisives, sont plantés d’ongles très longs; autant de marques d’une race supérieure. Ils portent de belles étoffes chatoyantes qui font un frou-frou de soie à chacun de leurs mouvemens et qui s’échappent, en bouffant, d’une ceinture au fil d’or; leur costume original est rehaussé par un kriss, passé sous la ceinture et dont la poignée est ouvragée et incrustée de pierres précieuses. Ces deux jeunes hommes jouent le rôle d’inspecteurs de police et d’avocats; en outre, ils ont pour tâche d’instruire toutes les affaires qui sont soumises au tribunal. Dès qu’un inculpé est amené devant le kerta, un kantya expose, en langue malaise, le délit à la cour. Ensuite, les juges consultent leur code, assemblage de bandes d’écorce où la loi pénale est gravée en kawi, — discutent entre eux, prennent l’avis du fonctionnaire hollandais et prononcent la sentence. Le condamné emmené, un autre inculpé apparaît; ainsi de suite pendant plusieurs heures. Citons un exemple. Pour avoir volé quelques noix de coco, un indigène est traduit devant le kerta. Les trois juges s’efforcent de lire leur code, mais nous voyons que le texte les embarrasse et nous nous rappelons qu’ils savent en réalité fort mal le kawi. Aussi, est-ce moins pour s’être inspirés de la loi que sous l’inspiration du moment qu’ils se mettent d’accord pour condamner le coupable à trois mois de prison. Cependant l’un d’eux se ravise tout à coup : Tida tiga boulân annam boulân, mots malais qui signifient: « Pas trois mois, six mois plutôt. » Aussitôt, ses collègues donnent leur approbation. Le fonctionnaire essaie de parlementer, c’est en vain ; mais le résident aura le droit d’exiger la réduction de cette peine.

Il semble que la matinée d’aujourd’hui doive nous révéler l’un après l’autre les mauvais instincts du peuple balinais. Voici maintenant

  1. Ils portent le nom de padanda.