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constante et donnent la chasse aux contrebandiers, au moyen de petits vapeurs spéciaux, très rapides ; mais les Chinois continuent tout de même à se risquer dans ce genre de commerce, et ils y mettent tant d’habileté que, le plus souvent, ils ne sont pas dépistés.

Qu’au milieu de la population de Bah, l’on rencontre, comme dans tous les pays du monde, des faillis, des gens endettés, ruinés par imprévoyance, cela est certain. — En revenant de Sangsit, nous passons par Pabean dans l’intention d’assister à une vente aux enchères. La vente est présidée par le secrétaire de la résidence. Arabes, Chinois, Arméniens, toujours à l’affût des bonnes occasions, sont accourus en grand nombre. Dans un vacarme assourdissant de voix, ils se pressent autour d’une table sur laquelle sont exposés des kriss, des bijoux et divers objets représentant ensemble beaucoup d’argent. Tout cela disparaît, pièce par pièce, pour des sommes dérisoires. Cette vente achevée, on en commence une autre. Celle-là s’est faite, pour cause de faillite, par ordre de l’autorité. Celle-ci se fait pour le compte du propriétaire des armes et des bijoux mis à l’encan; il manque de numéraire pour aller parier aux combats de coqs, et il se dépouille, à vil prix, d’objets dont il ne se dessaisirait peut-être pour aucun prix dans un autre moment. C’est que les combats de coqs passionnent les Balinais d’une façon incroyable. Quand l’agriculteur a ensemencé ses rizières, il se repose en attendant que le soleil fasse lever et mûrir ses champs, et pendant le temps de son oisiveté, aussi souvent que se tient la roulette sanglante, il y accourt avec des coqs bien engraissés. Les artisans, les gens de corvée quittent tous le travail pour y accourir aussi. La vente aux enchères d’aujourd’hui s’explique, demain il y aura combats de coqs.


6 heures du soir.

Retournés à Boeleleng pour les heures de sieste, nous revenons à Pabean pour assister, de la terrasse du club, au spectacle de la tombée de la nuit sur la mer. Le club est tous les jours, à pareil moment, le lieu de rendez-vous des fonctionnaires ; ils s’y délassent, au jeu de billard et dans la contemplation du crépuscule, des longues journées monotones et de vive lumière.

Arrivé au terme de sa course, comme pensent les Balinais, le soleil a roulé derrière les montagnes de Java ; son sillage de feu s’éteint progressivement, au firmament, dans une gamme de nuances prestigieuses. Bien qu’aucun vent ne souffle du large, ni de la côte, la