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en même temps qu’un dialecte qui fût accessible au peuple, avec des termes nouveaux pour les nouvelles connaissances religieuses, la langue sacrée qui, destinée à l’écriture et aux inscriptions, était appelée à renfermer tous les ouvrages mythologiques de l’archipel. C’est ainsi qu’à Bali les poèmes et les codes sont gravés en kawi. Les prêtres sont censés connaître à fond cette langue ; ils la savent, en réalité, fort mal.

La civilisation balinaise, telle que nous la retrouvons aujourd’hui, est donc issue de Java au temps où y régnait l’hindouisme. Comme, depuis ce moment, le peuple de Bali est demeuré stationnaire, il n’est pas étonnant qu’il soit toujours divisé en castes, suivant le principe brahmanique. — Les prêtres et les chefs peuvent, en vertu d’un droit qui leur appartient exclusivement, prendre autant de femmes qu’ils veulent dans les classes inférieures, mais pour tous les autres indigènes, les frontières entre castes sont inviolables, et les mésalliances sont expiées d’une façon terrible. Par exemple, une femme qui a pour amant un homme de condition plus basse qu’elle sera brûlée vive, et son amant enfermé dans un sac et jeté à l’eau. À Boeleleng et à Djembrana, le gouvernement hollandais châtie les coupables en les bannissant. — La caste des brahmanes est peu nombreuse, elle comprend les prêtres. À celle des Kchattryas ne se rattachent dans tout le pays que trois princes. La caste des Vayssias est constituée pour ainsi dire par la bourgeoisie de Bali ; à l’exception des trois princes Kchattryas, tous les princes en sont ressortissans. Entre cette caste et celle des Coudras, s’intercale une sous-caste qui est formée par l’ancienne noblesse balinaise et dans laquelle sont choisis en général les chefs de villages. Quant à la caste des Çoudras, elle se compose des artisans. Viennent enfin les parias ou déclassés : prolétaires, gens de corvée, en un mot presque des esclaves.

Nous avons constaté jusqu’à présent à Bali les marques de profond respect que les inférieurs donnent à leurs supérieurs, mais rien qui eût pu nous attester la persistance des castes dans la population. Au contraire, il nous a semblé que, les chefs mis à part, les natifs occupaient à peu près tous le même rang social ; nous avons remarqué qu’ils étaient tous dans l’aisance, et que toutes les maisons étaient uniformes, aussi simples les unes que les autres.

La matinée d’aujourd’hui promet d’être intéressante. L’un des jeunes fonctionnaires nous invite à l’accompagner chez un vieux prêtre qui demeure à Sangsit, un grand village de la côte, distant de quelques kilomètres de Boeleleng. — Le village développe une double bordure de murs d’enceinte le long d’une chaussée très large, sur laquelle, à notre approche, s’enfuient des troupeaux de