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par le rythme des sous métalliques qui se mêlent d’une façon harmonieuse... Ce spectacle fini, commence une représentation du théâtre balinais ou wajang. En réalité, le mot wajang signifie ombre, il s’applique au théâtre des ombres chinoises et des marionnettes, et le théâtre où figurent des personnages vivans se nomme wajang-orang, mais on emploie tout de même le terme seul de wajang pour les désigner l’un et l’autre. — Deux jeunes insulaires, aux mains fines, aux ongles très longs, — des fils de radjahs, — tiennent le rôle de princes de leur histoire, prétendans d’une princesse, et l’une des quatre petites danseuses représente la princesse. Tous trois exécutent une danse-pantomime d’un art très délicat; par momens, ils en renforcent l’expression par des paroles qu’ils chantent d’une voix nasale aux accens poignans. C’est d’abord un long poème d’amour dont le gamelan souligne les nuances. C’est ensuite une scène d’inquiétude au cours de laquelle les princes rivalisent d’ardeur, sur un thème passionné, pour triompher des hésitations de la princesse. C’est enfin un dénoûment tragique : cette dernière, aimant ses prétendans d’un amour égal, se donne la mort pour se soustraire à l’obligation d’opter entre eux ; elle simule le suicide en se laissant tomber, et sur son corps les princes éplorés clament, en notes aiguës, leur désespoir, tandis que le gamelan, donnant avec force de tous ses instrumens, s’exaspère, précipite la mesure, s’arrête court. Éclate un coup de gong, c’est le point final. — L’un des princes en particulier nous a tenus, durant le spectacle, sous le charme de toute sa personne ; remarquablement svelte, ayant des traits d’une extrême finesse, il portait avec une grâce tout aristocratique, une coiffure et des colliers de roses, et un sarrong de soie retenu à sa taille par une ceinture au fil d’or ; sa voix, infiniment douce et souple, avait des inflexions étranges. — Après chaque partie du drame apparaissaient des acteurs comiques ; dans un intermède plus ou moins long, ils parodiaient la scène achevée par des gestes désordonnés et par un dialogue moitié en balinais, moitié en malais, assaisonné de plaisanteries. A la vue de ces clowns qui s’étaient grotesquement costumés et dont le visage grimaçait, doré ou argenté au moyen de je ne sais quel procédé galvanoplastique, à l’ouïe de leurs tirades pleines de verve satirique et folichonne, les indigènes s’égayaient, et de tous les gradins de têtes partaient des rires bruyans et prolongés; puis, au retour en scène des princes et de la princesse, le silence se rétablissait, respectueux... Bien que les représentations durent le plus souvent jusqu’au lever du soleil, le peuple en attend toujours la fin, sans manifester jamais la moindre impatience.

Il est trois heures du matin quand nous quittons le pendoppo.