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au pied de ses versans abrupts. La route dévale et remonte, presque aussi roide que les pentes; point de pont pour passer l’eau. Plus loin s’étalent en gradins des rizières inondées où se réfléchit un ciel blanc. Par places émergent de l’eau dormante les têtes énormes, aux cornes puissantes, de buffles immobiles qui se baignent couchés. Soudain, en arrière, un bruissement de vagues; une de ces bêtes massives et glabres n’a fait que se soulever. La peur éperonne les chevaux; un temps de galop, et voici le pied de la montagne. — Après une demi-heure d’ascension, nous atteignons le village de Gitgit, un village à toits de chaume qui surgissent dans l’ombre de grands varigners; en même temps, un point de vue merveilleux sur la côte et sur la mer. Nous mettons pied à terre dans un jardin, auprès d’un passangrahan, maison rustique qui appartient aux fonctionnaires hollandais et a été construite en vue de leurs tournées d’inspection dans le pays. On trouve de pareils immeubles dans beaucoup de villages de Java ; ce sont, en somme, les bungalow de l’Inde anglaise. Demeures très simples, en bois pour la plupart, avec galerie sur le devant, les passangrahan renferment les meubles de première nécessité.

Non loin de Gitgit, à la hauteur de quelques lacets d’une route en éclats de roche sur une côte rapide et herbeuse, commence la grande forêt de l’île, une forêt qui se déploie jusque près du sommet des volcans, qui n’est pénétrable que la hache à la main et qui referme bien vite les passages frayés dans son obscurité en poussant de nouveaux bras de ses moignons, en multipliant ses lianes. Les chevaux laissés au village, nous y faisons une courte exploration. — Un sentier, que nous gravissons depuis quelques minutes, s’arrête court devant un fouillis de fortes branches que projettent les troncs dès leur sortie du sol. Des villageois qui nous suivent s’empressent de prendre les devans et ouvrent péniblement un chemin. Des débris de bois vert qui jonchent le sol, des marques fraîches d’amputation à la base des arbres témoignent que la hache a passé récemment çà et là. A droite et à gauche pendent, pareils à de très petites cerises, les fruits rouges des caféiers; sur beaucoup de ces arbustes au feuillage délicat, la cueillette est déjà faite. — Pas à pas, nous atteignons le fond d’un vallon ombreux où bouillonne un torrent, dans un lit de roches éboulées, entre deux bordures de plantes aquatiques d’un beau vert tendre. Nous remontons sur les pierres le cours d’eau écumeux; la forêt s’ouvre, et les versans du vallon se rejoignent dans un flot de soleil. Du haut de rochers que revêtent des fougères arborescentes tombe, en une seule nappe, une cascade qui se brise dans un étang limpide et arrose d’une fine poussière d’eau les plantes environnantes. Au sommet de la paroi verdoyante, lustrée d’humidité