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tenant dans la droite une massue au lieu d’une fleur blanche, comme c’est la coutume dans l’Inde; et, par momens, ils s’interrompent pour répandre de l’eau bénite sur le peuple. Les prêtres officient, à date fixe, dans l’année.


La nuit est venue ; les plantes sont immergées, confusément, dans l’ombre; là-bas, la mer est pâle sous la clarté molle qui tombe des étoiles. Par intervalles, le flambeau d’un indigène attardé sur la route fait une tache jaune qui erre dans l’obscurité. — Je songe au vieux savant qui vit depuis si longtemps mêlé au peuple d’enfans que sont les Balinais. Certes, il a acquis au milieu d’eux une science étendue et captivante; mais son âme européenne s’est étiolée, du même coup, dans cette solitude. L’envers de son esprit nous est apparu enfantin. Par des sophismes et des anecdotes intimes de toute sorte, il nous a longuement égayés. Tant il se confine dans son enthousiasme pour son île, qu’on dirait qu’il n’existe plus pour M. van der Tück que Bali... et la mer infinie...


10 avril.

Nous avons trouvé à Boeleleng des Hollandais très obligeans. Outre le résident, qui nous donne si généreusement l’hospitalité, et M. van der Tück, qui nous instruit avec tant de bienveillance, quatre jeunes fonctionnaires se mettent constamment en frais d’amabilité pour nous. Ces quelques Européens composent, avec trois ou quatre employés subalternes et un contrôleur établi à Djembrana, le noyau de la colonie dans l’île. Pas le moindre complément de force armée. Dans toutes les villes de Java défilent les uniformes sombres de l’armée des Indes, et des forteresses massives braquent des canons dans toutes les directions; ici, un bâtiment qui servait de caserne a été évacué, il y a quelques années, et est actuellement fermé.

Pour aujourd’hui, les jeunes fonctionnaires ont organisé à notre intention une excursion dans la montagne. Des chefs de villages et des opas se joignent à eux pour nous accompagner. De petits chevaux de selle agiles et ingambes nous emportent rapidement à travers la forêt de Boeleleng, au sortir de laquelle la montagne apparaît embrumée de chaleur, lointaine. La route, d’abord pierreuse, mais nivelée, serait ensuite impraticable pour tout genre de véhicule ; elle est embarrassée de racines, hérissée d’éclats de roche, creusée d’ornières profondes. La rivière que nous avons vue hier décrit des sinuosités. Deux fois elle écume, sous nos yeux,