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inutiles, ils opérèrent enfin une conversion, mais celle-ci leur fut fatale. En 1881, l’unique converti, sans doute affolé par les taquineries de ses compatriotes, assassina le missionnaire, « de Vroom. » Depuis ce moment, les missionnaires ont absolument disparu du pays.

Si les indigènes se sont ainsi soustraits à toute nouvelle transformation religieuse, c’est moins parce qu’ils étaient fanatiques que parce qu’ils étaient indifférens; par suite de cette indifférence, l’hindouisme lui-même a perdu, au milieu d’eux, sa forme originale, à supposer, toutefois, qu’il l’ait jamais eue dans l’île. En réalité, les Balinais se distinguent extérieurement par quelques pratiques, ainsi que par les différentes façons dont ils traitent les morts, mais ils s’identifient dans le fond par une tradition commune de croyances superstitieuses. — Un certain nombre d’entre eux livrent les cadavres aux bêtes sauvages, en les exposant à la lisière des forêts ; cette coutume, qui n’existe plus que dans les sultanies indépendantes, se rattache à la plus ancienne religion de l’île. Le plus grand nombre brûlent les morts, comme le veut la tradition brahmanique. Les orfèvres et forgerons, qui constituent une classe spéciale, avec usages spéciaux, enterrent les corps. Il arrive, toutefois, que les hindouistes déposent leurs cadavres pour quelque temps dans des tombes, car la crémation est toujours accompagnée d’une cérémonie et d’un repas très coûteux, et le cas se présente souvent de familles qui n’ont pas l’argent nécessaire pour faire procéder tout de suite à l’incinération d’un mort. Dans ces circonstances, il est d’usage, dans le pays indépendant, de conserver le cadavre chez soi et de le recouvrir d’un linceul de pierres; mais à Boeleleng et à Djembrana, le gouvernement exige une sépulture provisoire pour raison de salubrité publique. — Cette diversité de pratiques n’empêche pas que tous les Balinais ne se confondent dans une même foi naïve. Ils n’adorent pas de dieux à formes et noms arrêtés ; ils implorent les forces bienfaisantes de la nature. Par exemple, les rizières étant d’un revenu considérable pour leurs propriétaires, on voit ces derniers s’associer en plus ou moins grand nombre pour consacrer un temple à la force naturelle ou divinité qui fait éclore les graines. Des amoureux demanderont au bon génie de la jeunesse d’exaucer leurs vœux; l’indigène, que l’avenir inquiète, s’efforce, dans ses prières, de fléchir le destin. Hors de ses intérêts et de ses besoins, le Balinais est indifférent en matière religieuse, et ses pratiques de dévotion lui suffisent. — Dans les quartiers d’habitations, on voit, auprès des demeures, de petites constructions à toits de chaume, oratoires rustiques qui sont couverts d’images représentant des divinités du foyer et des héros de poèmes. Peu importe aux habitans d’où