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façades basses, avec étalages de marchandises en plein vent, au rez-de-chaussée, et, au seuil des boutiques, des familles de Chinois, d’Arabes et d’Arméniens. — La rue s’arrête. La route monte légèrement, à peine sinueuse, bien entretenue et poussiéreuse, entre deux rangées d’arbres qui étendent sur elle, à une grande hauteur, une voûte opaque de feuillage. A droite et à gauche, des champs de riz, parvenus à maturité, déroulent très loin des tapis veloutés et verts comme pré ; ils sont très beaux, ces champs, et plus doux à l’œil que les plantations vert jaunâtre de tabac et de canne à sucre que l’on rencontre partout au nord et au centre de Java. — Puis, c’est la forêt. Des bambous fléchissent gracieusement leurs tiges au feuillage délicat. Des palmiers projettent des gerbes d’éventails. Des cocotiers élancent, d’un seul jet, leur tronc gracile et couronné du panache des palmes retombantes. Des varigners, arbres sacrés de l’hindouisme, — Tels que des chênes gigantesques, — écrasent cette végétation légère de leur masse énorme. Et, parmi cette verdure éternelle, des arbres de cimetière, tortus, aux branches enchevêtrées, qui ne poussent jamais de feuilles, jettent leur défi au climat des tropiques. — La route se déploie entre deux lits asséchés de torrens, profonds de plusieurs pieds, et par-delà lesquels, bien avant dans la forêt, commencent à défiler les premières maisons balinaises. Elles sont juchées au bord de terrains jaunes qui dévalent en talus, et qui sont reliés de loin en loin à la route par des troncs d’arbres. Ces habitations sont basses ; quelques-unes sont construites en bambou et ont reçu extérieurement une application de mortier gras ; la plupart se composent de murs authentiques ; toutes sont surmontées de toits aigus, recouverts de chaume, de nattes d’écorces et de larges feuilles. Sinon de dimension, au moins d’aspect, elles diffèrent des maisons javanaises, qui, généralement en bois, sont un abri moins sûr contre les ouragans. — Bientôt la forêt s’éclaircit ; la ville apparaît. Un chemin caillouteux dégringole à la rencontre de la route poussiéreuse qui tourne court et se développe ensuite entre des jardins et des façades à péristyle : le faubourg européen, de son ancien nom Singaradja (ville des radjahs).

Dans la ville indigène, de tous côtés, des toits de chaume et d’écorce surgissent à l’intérieur de murailles de clôture qui rassemblent les habitations par quartiers. Ces murailles sont hautes, revêtues d’un crépi solide, hérissées d’éclats de verre, percées de portes basses; elles donnent à Boeleleng l’apparence d’une place forte. Et d’entre les toits, partout, jaillissent des vestiges de forêt.

A Singaradja, une façade de temple grec, tournée vers la mer, se dresse au fond d’un jardin; elle est flanquée de deux galeries à