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IV.

Telles sont les idées qui ont régné pendant les quarante ou cinquante dernières années. D’Allemagne elles ont pénétré en France, en Angleterre, en Italie, chez les peuples scandinaves et jusque de l’autre côté de l’Atlantique. Mais il semble qu’en ce moment elles subissent un temps d’arrêt dans le pays même où elles ont pris naissance. Est-ce une nouvelle période qui se prépare? Les études latines et grecques, après avoir atteint leur apogée, vont-elles entrer dans une époque de décroissance? Je ne le crois pas. Mais le fait est trop important pour que nous n’y portions pas notre attention. Il y a, d’ailleurs, une leçon à tirer de cette crise.

Nous assistons en ce moment à la réaction provoquée en Allemagne par le savoir trop technique des maîtres, lesquels, confondant l’instruction qui convient au professeur avec celle qui convient à l’élève, et naturellement enclins à enseigner de préférence ce qu’ils savent le mieux, semblent avoir perdu de vue le but général de l’éducation. Différentes circonstances étrangères à l’enseignement ont favorisé cette réaction. A mesure que l’Allemagne grandissait en puissance et se tournait vers ces biens matériels dont autrefois un de ses poètes l’engageait à se passer, les forces morales par lesquelles elle avait atteint un tel degré de grandeur perdaient du prix à ses yeux. Dans les conversations de M. de Bismarck avec le conseiller Busch, il en est une, tenue au château de Ferrières, où nous le voyons, après boire, tournant en ridicule le gymnase et son savoir. Depuis ce temps, ces idées se sont propagées, aidées sans doute par l’exagération de quelques maîtres. La sortie de l’empereur d’Allemagne contre « les philologues » vient de là. Mais il ne faut pas s’y tromper : le jeune souverain ne s’attaque pas seulement aux excès de l’érudition classique. Ce qu’il voudrait, c’est la substitution d’une éducation germanique à l’éducation gréco-latine. Dans le conseil pédagogique qu’il présidait, il s’est trouvé un professeur pour élever le maréchal de Moltke, alors encore vivant, au-dessus de tous les héros de l’antiquité grecque et romaine. On peut croire que ce maître est celui qui a le plus parlé selon le cœur de Guillaume II, lequel disait encore qu’il fallait prendre l’allemand pour base de l’enseignement, comme à un autre moment il déclarait qu’il fallait renverser l’ordre traditionnel et aller de Sedan à Marathon, ce qui signifie que l’histoire contemporaine est le point capital et essentiel, le seul après tout qui importe.

Ceci est l’annonce d’un état d’esprit nouveau qui se rencontre