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gardé, la réponse se présente d’elle-même. Les vers latins et le discours latin, comme on les pratiquait encore dans nos collèges il y a vingt ans, ont tiré de là leur origine. Les maîtres de l’Université se sont quelquefois attachés à expliquer notre système scolaire comme un tout savamment combiné et où chaque partie avait été introduite après mûre réflexion. Il n’en est pas tout à fait ainsi, et c’est plutôt par l’histoire qu’il faut trouver la raison d’être de cet agencement. Je me hâte d’ajouter que ceci n’est point du tout une critique : en fait d’instruction, nous avons appris qu’il faut se défier des programmes d’ensemble composés dans le cabinet.

Les maîtres de Port-Royal, en rédigeant en français leurs livres de grammaire et de logique, firent une chose favorable à la clarté de l’exposition, mais, sans le vouloir, augmentèrent l’éloignement où le latin se retirait de plus en plus. C’est à partir de ce moment qu’une doctrine nouvelle se fait jour, doctrine inconnue aux âges précédens, mais doctrine juste et vraie en ses traits essentiels; d’autant plus vraie et plus juste qu’elle ne sortit point de la tête des théoriciens, mais qu’elle fut suggérée par l’expérience.

L’étude des langues anciennes, — Telle est cette doctrine, — procure un genre de profit particulier, qui est la formation de l’esprit. Transporter une pensée, un raisonnement, une description d’une langue dans une autre, c’est obliger l’intelligence à se bien rendre compte de la valeur des mots, de l’enchaînement des idées, c’est lui imposer un travail de transposition qui ne peut manquer de lui donner vigueur et souplesse. C’est déjà ce que dit Rollin : « Il n’en est pas de la traduction comme de la copie d’un tableau, où le copiste s’assujettit à suivre les traits, les couleurs, les proportions, les contours, les attitudes de l’original qu’il imite. Cela est tout différent... Il faut trouver ce juste milieu qui, s’écartant également et d’une contrainte servile et d’une liberté excessive, exprime fidèlement toutes les pensées, mais songe moins à rendre le nombre que la valeur des mots. »

Rapprochons tout de suite quelques lignes d’un écrivain contemporain : « Quand un de nos enfans lit un texte français, à moins qu’il n’ait des facultés de réflexion très rares, son esprit est emporté par le sens général, il glisse sur les détails et sur les nuances... Le thème et la version obligent à peser chaque mot, à en préciser la valeur, à en chercher l’équivalent; il faut, en outre, relever tous les rapports des idées entre elles, des mots entre eux, deviner le sens caché du texte ; enfin il faut transposer le tout d’une langue dans une autre différente... Le résultat, c’est qu’on a fait pour son propre compte le travail du penseur et de l’écrivain... C’est une œuvre d’art qu’il a fallu reproduire... La lecture cursive