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Cologne disputaient pour décider si un nouveau candidat à recevoir devait s’appeler : magistrandus noster ou magister nostrandus. On comprend qu’arrivé à ce point de décomposition, le latin du moyen âge ait inspiré de la répulsion à la génération lettrée qui allait suivre. Mais il avait durant trois siècles suffi à l’activité d’intelligences très aiguisées, et il n’était même pas resté rebelle à l’expression colorée des mouvemens de l’âme, comme le prouvent certains chants de l’Église.

Avant d’aller plus loin, arrêtons-nous un instant pourvoir ce que notre enseignement secondaire doit au moyen âge.

Il lui en reste peu de chose. Ce n’est pas que le moyen âge ait disparu si vite : encore au temps de Molière, le latin s’apprenait dans des manuels assez semblables à ceux du XIVe siècle. On se rappelle Sganarelle dans le Médecin malgré lui : Deus sanctus, estne oratio latina? — Etiam. — Quare? — Quia substantivo adjectivum concordat in genere, numero et casu. C’est la grammaire latine de Despautères, laquelle, quoique rédigée vers la fin du XVe siècle, est composée sur des modèles plus anciens : au XVIIe siècle, elle s’enseignait couramment dans les petites écoles. On se souvient aussi de la cérémonie du Malade imaginaire : Savantissimi doctores... C’est le latin quelque peu chargé des soutenances de doctorat, soutenances dont on pouvait se donner le spectacle à la Sorbonne.

Il existe un livre qui appartient, non par la date, mais par l’esprit, à la méthode du XIVe siècle et que les hommes de mon temps ont encore appris par cœur : je veux parler du Jardin des Racines grecques. Quoique composé au XVIIe siècle, cet ouvrage, où les mots sont alignés en ordre alphabétique, sans égard à la forme ni au sens, et où la rime est la seule façon de venir au secours de la mémoire, nous représente le pur esprit du moyen âge. Lancelot l’aura sans doute rédigé sur le modèle des livres qu’il avait lui-même eus entre les mains dans sa jeunesse. En pédagogie, les choses durent très longtemps : les défenses et les ordres venus d’en haut n’y font pas beaucoup, car les professeurs (si l’on veut excuser la familiarité de cette image) ne se remettent pas sur la forme comme les chapeaux ; ils ont leurs idées et leurs habitudes, dont ils peuvent vouloir se défaire à certains momens, mais auxquelles ils ne tardent pas à revenir.

Notre enseignement grammatical a gardé quelques théories chères au moyen âge : il les a même développées et amplifiées. Nous avons tous été élevés dans la notion du complément : complément direct et complément indirect, complément circonstanciel et complément d’attribution, il n’est question que de cela dans nos manuels. C’est l’empreinte que la logique a laissée sur la grammaire.