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cela en a tout l’air, a été d’abord nommé dans cette langue, n’est-il pas injuste, par amour du latin de l’antiquité, d’en faire un reproche au bas-latin?

Comment ces subtils dialecticiens, qui passaient leur vie à raisonner sur la forme et la substance, auraient-ils pu se borner au latin du temps de César? ce n’est pas avec le nescio quid ou le ut ita dicam du de Officiis qu’on aurait pu, par exemple, établir une comparaison entre le système philosophique de Duns Scott et celui de saint Thomas. Par une rencontre curieuse, et qui prouve que cette langue n’était pas tant à mépriser, nous voyons en ce moment lancer le projet de rétablir le latin comme langue universelle internationale. Ce projet, parti d’Oxford, et qui a pour organe un journal rédigé en latin, le Phœnix, ne vise pas le latin classique, mais un latin moderne, où l’on dira, par exemple : unio postalis universalis. Nous n’avons (pour le dire en passant) aucune raison de nous opposer à la diffusion d’une langue de cette sorte : si elle était adoptée, la majorité de nos compatriotes la saurait plus vite qu’elle ne saura l’anglais ou le volapük, sans compter qu’au bout d’un certain nombre d’années, ce latin aurait toute chance de devenir du français.

Le moyen âge ne lisait pas les anciens pour y chercher des modèles de style : ce qui l’intéressait, c’était le contenu, c’était le savoir qu’il en voulait retirer. Parmi les anciens, il ne s’adressait pas exclusivement, ni même de préférence, aux grands écrivains : quoiqu’on ait toujours connu Cicéron, Tite-Live, Sénèque, Virgile, Lucain, il étudiait surtout les auteurs plus récens, comme Orose, Valère Maxime, Isidore de Séville, Boèce, les pères de l’église, et surtout les traductions d’Aristote.

Un long usage avait approprié le latin du moyen âge aux matières qu’on avait l’habitude de traiter. Je ne veux pas dire qu’à force de le manier comme une langue vivante, on ne soit pas arrivé à prendre avec lui des libertés un peu grandes. Il y a des distinctions à faire entre le latin du XIIe siècle, qui a sa correction et sa pureté relatives, et celui du XVe , qui est parfois trop calqué sur le parler de tous les jours. Lors du siège d’Orléans par les Anglais, en 1429, les bourgeois d’Orléans envoient un écuyer aux habitans de Toulouse pour leur demander du secours : les notables de la ville se réunissent, délibèrent; nous avons le compte-rendu de leurs votes. C’est le latin sous sa forme la plus altérée. Finalement le conseil est d’avis non detur aliquid, quia villa non habet de quibus. Un peu plus tard, en apprenant les faits merveilleux de Jeanne d’Arc, le conseil change d’avis : attentis dictis miraculis succurratur de IIII vel VI cargiis pulveris. Même langage en Allemagne. S’il faut en croire Ulric de Hutten, les maîtres ès-arts de