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raison pour laquelle l’enseignement dit spécial ou français a tant de peine à se constituer et fatigue l’enseignement classique de ses agitations. « Les novateurs, dit M. Frary, qui ont voulu se passer du latin, n’ont pas su le remplacer; sur les ruines du temple consacré aux muses romaines, ils n’ont jamais construit qu’une école primaire plus ou moins agrandie, bien ou mal déguisée. »

On a l’habitude de donner le nom d’américanisme à une éducation qui ne tient nul compte du passé : mais le nom a cessé d’être juste, car les Américains, sentant la lacune de leur système d’instruction, ont aujourd’hui des collèges latins et des universités sur le modèle de la vieille Europe. Les Grecs, dit-on encore, sont devenus nos maîtres sans s’être formés eux-mêmes sur aucun ancien modèle : on oublie qu’ils avaient leur antiquité dans l’épopée, de même que les Romains avaient essayé de s’en donner une dans leurs anciens textes de lois et dans leurs vieux poètes.

Je ne prétends pas qu’à tout jamais l’humanité soit tenue de marcher dans les mêmes voies : mais de toutes les choses qui changent lentement en ce monde, un système d’éducation est celle qui demande le plus de temps. Si nous voulons constituer une instruction nouvelle, il faut renouveler la trame fil par fil, remplacer ce qui existe petit à petit, sans rupture ni violence. L’entreprise est possible, sans doute, mais les premiers efforts ont à peine été tentés, et c’est encore en prenant exemple sur les méthodes classiques, en les gardant comme modèle, qu’on pourra avec le temps espérer de la conduire à bonne fin.


I.

Si l’on embrasse du regard le long espace de temps qui s’étend de la chute de l’empire romain jusqu’à nos jours, on reconnaît sans peine que l’étude du latin n’a pas eu toujours le même but ni le même caractère. On peut, sous ce rapport, distinguer trois périodes principales : le moyen âge, la renaissance, et une troisième période dont le point de départ doit être placé vers le dernier tiers du XVIIIe siècle, et qui n’a pas encore reçu de nom définitif[1]. *

Au moyen âge, le latin est le grand moyen de communication entre les nations de l’Europe, et à l’intérieur d’une seule nation, il est la langue qui sert à tous les objets élevés de la vie. Ce latin-là,

  1. Dans les pages qui suivent, nous avons eu pour guide un livre plein de faits et d’idées : Geschichte des gelehrten Unterrichts auf den deutschen Schulen und Universitäten vom Ausgang des Mittelalters bis zur Gegenwart, par le docteur Fr. Paulsen. Cet ouvrage a surtout en vue l’Allemagne, mais les points de comparaison avec la France sont nombreux.