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ajoutez-en un complémentaire pour le spirituel, et ce sera plus que trop. A côté du percepteur en redingote et du gendarme en uniforme, le paysan, l’ouvrier, le petit bourgeois rencontre le curé en soutane, qui, au nom de l’Église, comme les deux autres au nom de l’État, lui donne des commandemens et l’assujettit à une règle. Or, toute règle est gênante, et celle-ci plus que les autres ; on est quitte avec le percepteur quand on l’a payé, avec le gendarme quand on n’a pas commis d’action violente ; le curé est bien plus exigeant; il intervient dans la vie domestique et privée et prétend gouverner tout l’homme. Au confessionnal et du haut de la chaire, il admoneste ses paroissiens, il les régente jusque dans leur for intime, et ses injonctions enserrent toutes les portions de leur conduite, même secrète, au foyer, à table et au lit, y compris les momens de relâche et de détente, les heures de loisir et la station au cabaret. Au sortir d’un sermon contre le cabaret et l’ivrognerie, on entend des villageois murmurer et dire : « Pourquoi se mêle-t-il de nos affaires? Qu’il dise sa messe et nous laisse tranquilles. » Ils ont besoin de lui pour être baptisés, mariés, enterrés; mais leurs affaires ne le regardent pas. D’ailleurs, parmi les observances qu’il prescrit, beaucoup sont incommodes, insipides ou désagréables, maigres, carêmes, assistance passive à la messe dite en latin, à de longs offices, à des cérémonies dont les détails sont tous significatifs, mais dont le sens symbolique est nul aujourd’hui pour les assistans; joignez-y la récitation machinale du Pater et de l’Ave, les génuflexions et signes de croix, et surtout la confession obligatoire, à échéance fixe. De toutes ces sujétions, l’ouvrier s’est dispensé et le paysan aujourd’hui se dispense. En quantité de villages, la grand’messe du dimanche n’a pour auditeurs que des femmes, et parfois en petit nombre, un ou deux troupeaux d’enfans amenés par le frère instituteur et par la sœur enseignante, quelques vieillards ; la très grande majorité des hommes n’entre pas; ils restent dehors, sous le porche et sur la place de l’église, causant entre eux de la récolte, des nouvelles locales et du temps qu’il fait. — Au XVIIIe siècle, quand un curé devait renseigner l’intendant sur le chiffre de la population dans sa paroisse, il lui suffisait de compter ses communians au temps pascal ; leur chiffre était à peu près celui de la population adulte et valide, environ la moitié ou les deux cinquièmes du total[1]. Maintenant, à Paris, sur 2 millions de catholiques qui sont d’âge, environ 100,000[2] remplissent ce

  1. A Bourron (Seine-et-Marne) qui, en 1789, avait 600 habitans, le nombre des communians au temps pascal était de 300 ; aujourd’hui, sur 1,200 habitans, il est de 94.
  2. Th.-W. Allies, Journal d’un voyage en France, p. 18, III : M. Dufresne (juillet 1845) nous dit que, sur 1 million d’habitans à Paris, on en compte 300,000 qui vont à la messe et 50,000 qui sont des chrétiens pratiquans. » — (Conversation avec l’abbé Petitot, curé de Saint-Louis d’Antin, 7 juillet 1847.) « Sur 32 millions de Français, on en compte 2 millions qui sont véritablement chrétiens et vont à confesse.» — Aujourd’hui (avril 1890), un ecclésiastique éminent et bien informé m’écrit : « J’estime en gros à 100,000 le nombre des personnes faisant leurs Pâques à Paris. » — Le chiffre des pratiquans varie beaucoup selon les paroisses : Madeleine, 4,400 sur 29,000 habitans; Saint-Augustin, 6,500 sur 29,000 habitans; Saint-Eustache, 1,750 sur 20,000 habitans; Billancourt, 500 sur 10,000 habitans; Grenelle, 1,500 sur 47,500 habitans; Belleville, 1,500 sur 60,000 habitans.