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du clergé à un domaine foncier, à un corps organisé, à un territoire, à un troupeau, par le manque de toute dotation ecclésiastique, par la réduction de tout ecclésiastique, même dignitaire, à la condition humble et précaire de salarié[1].

Un tel régime institue, dans le corps qui le subit, la dépendance presque universelle, par suite, la soumission parfaite, la docilité empressée, l’obéissance passive, l’attitude courbée et fléchissante de l’individu qui ne peut plus se tenir debout sur ses propres pieds[2] : le clergé auquel on l’applique ne peut manquer d’être manœuvré d’en haut, et celui-ci l’est, par ses évêques, lieutenans-généraux du pape, qui leur donne à tous le mot d’ordre. Une fois institué par le pape, chacun d’eux est le gouverneur à vie d’une province française et tout-puissant dans sa circonscription : on a vu à quelle hauteur y est montée son autorité morale et sociale, comment il y exerce le commandement, comment il a fait de son clergé un régiment discipliné et disponible, en quelle classe de la société il va chercher ses recrues, par quelle préparation et quel entraînement tout prêtre, y compris lui-même, est maintenant un soldat exercé et tenu en haleine; comment cette armée d’occupation, distribuée en quatre-vingt-dix régimens et composée de cinquante mille prêtres résidens, se complète par des corps spéciaux soumis à une discipline encore plus stricte, par des congrégations monastiques, par quatre ou cinq mille instituts religieux, presque tous laborieux et bienfaisans ; comment, à la subordination et à la correction du clergé séculier, s’ajoute l’enthousiasme et le zèle du clergé régulier, le dévoûment entier, la merveilleuse abnégation de trente mille religieux et de cent vingt-sept mille religieuses, comment ce vaste corps, animé par un seul esprit, marche incessamment, avec toute sa clientèle laïque, vers un but, toujours le

  1. Cours alphabétique et méthodique du droit canon, par l’abbé André, et Histoire générale de l’Église, t. XIII, par Bercastel et Henrion. On trouvera dans ces deux ouvrages l’exposé des divers statuts de l’Église catholique dans les autres pays. Chacun de ces statuts diffère du nôtre par un ou plusieurs articles essentiels, dotation fixe ou même territoriale du clergé, présentation à l’épiscopat par le chapitre, ou par le clergé du diocèse, ou par les évêques de la province, concours public pour les cures, inamovibilité, participation du chapitre à l’administration du diocèse, restauration de l’officialité, retour aux prescriptions du concile de Trente. (Cf. notamment les Concordats conclus avec le Saint-Siège par la Prusse, la Bavière, le Wurtemberg, Bade, les deux Hesses, la Belgique, l’Autriche, l’Espagne, et les statuts agréés ou établis par le Saint-Siège en Irlande et aux États-Unis.)
  2. Les frères Allignol, de l’État actuel du clergé en France, p. 248 : « l’esprit même du desservant ne lui appartient plus. Qu’il se garde bien d’avoir un sentiment, une opinion à lui!.. Il faut qu’il cesse d’être lui et qu’il perde, pour ainsi dire, sa personnalité. » — Ibid., préface, XIX : « Placés l’un et l’autre dans des campagnes reculées,.. nous sommes en position de bien connaître le clergé du second ordre, dont, depuis vingt-cinq ans, nous faisons partie. »