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continence promise et gardée : il est marié[1], père de famille, besogneux, obligé de tondre son troupeau pour subsister, lui et les siens, partant, peu considéré; l’ascendant moral lui manque; il n’est pas le pasteur auquel on obéit, mais l’officiant dont on se sert.

Tout autre est le rôle du prêtre dans l’Église catholique; par sa théorie des rites, elle lui confère une dignité incomparable et le vrai pouvoir personnel. — Selon cette théorie, les observances et pratiques ont une vertu intrinsèque et propre; sans doute, il leur faut un support mental, qui est la piété intime; mais, sans elles, la piété intime ne suffit pas ; il lui manque son prolongement terminal, son achèvement méritoire ou « satisfactoire[2], » l’acte positif par lequel nous réparons nos offenses envers Dieu, et nous prouvons notre obéissance à l’Église[3]. C’est l’Eglise, vivante interprète de Dieu, qui prescrit ces rites ; elle en est donc la maîtresse, non la servante; elle a qualité pour adapter leur détail et leur forme à ses besoins et aux circonstances, pour les atténuer ou simplifier selon les temps et les lieux, pour établir la communion sous une seule espèce, pour remplacer le pain par l’hostie, pour diminuer le nombre et la rigueur des anciens carêmes, pour déterminer les effets des diverses œuvres pies, pour appliquer, imputer et transférer ces effets salutaires, pour assigner à chaque dévotion sa valeur et sa récompense, pour mesurer les mérites qu’elle procure, les fautes qu’elle efface et les grâces qu’elle obtient, non-seulement dans notre monde, mais au-delà. En vertu de ses habitudes administratives, et avec une précision de comptable, elle chiffre ses indulgences et marque en regard les conditions qu’elle y met : pour telle prière répétée tant de fois à telle date et en telle occasion, tant de journées en moins dans le grand pénitencier où tout chrétien, même pieux, est presque sûr de tomber après la mort, telle réduction de la peine encourue, et la faculté, s’il renonce à cette réduction pour lui-même, d’en transporter le bénéfice à autrui. En vertu de ses habitudes autoritaires et pour mieux affirmer sa souveraineté, elle range parmi les fautes capitales l’omission des pratiques qu’elle commande : « ne point entendre la messe un jour

  1. Sur tous les caractères de la religion et du clergé en Russie, cf. Anatole Leroy-Beaulieu, l’Empire des tsars et les Russes, t. III en entier.
  2. Bossuet, Éd. Deforis, VI, 169, Catéchisme de Meaux (reproduit sauf quelques additions dans le catéchisme qui fut adopté sous Napoléon). « Quelles sont les œuvres qu’on appelle satisfactoires? — Des œuvres pénibles que le prêtre nous impose en pénitence. — Dites-en quelques-unes. — Les aumônes, les jeûnes, les austérités, les privations de ce qui agrée à la nature, les prières, les lectures spirituelles. »
  3. Id, ibid. « Pourquoi la confession est-elle ordonnée? — Pour humilier le pécheur... — Pourquoi encore? — Pour se soumettre à la puissance des clés et au jugement des prêtres qui ont le pouvoir de retenir les péchés et de les remettre. »