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sont 800. Ailleurs, à Laval, la fondatrice du Refuge pour les repenties infirmes est une simple repasseuse qui a commencé sa maison en recueillant par charité deux filles ; celles-ci en ont amené d’autres, et il y a maintenant une centaine d’instituts semblables. Le plus souvent, le fondateur est le desservant ou vicaire de l’endroit, qui, touché par une misère locale, croit d’abord ne taire qu’une œuvre locale ; ainsi naît en 1806, à Rouissé-sur-Loire, la congrégation de la Providence, qui a maintenant 918 sœurs en 193 maisons ; en 1817, à Lovallat, l’association des Petits-Frères de Marie, qui compte aujourd’hui 3,600 frères ; en 1840, à Saint-Servan, l’institut des Petites-Sœurs des Pauvres, qui sont aujourd’hui 2,685, et, sans aucun secours que celui de l’aumône, nourrissent et soignent, dans leurs 158 maisons, 20,000 vieillards, dont 13,000 dans leurs 93 maisons de France ; elles ne mangent qu’après leurs hôtes, et leurs restes ; il leur est interdit d’accepter aucune dotation ou fondation ; en vertu de leur règle, elles sont et restent mendiantes, d’abord et surtout pour leurs vieillards, ensuite et par accessoire pour elles-mêmes. Notez les circonstances de l’entreprise et la condition des fondatrices : c’étaient deux ouvrières de village, jeunes filles de seize à dix-huit ans, pour lesquelles le vicaire de la paroisse avait écrit « une petite règle ; » le dimanche, ensemble dans un creux de rocher, au bord de la mer, elles apprenaient et méditaient ce manuel sommaire, puis accomplissaient les dévotions prescrites, telle dévotion à telle heure, chapelet, oraison, station à l’église, examen de conscience et autres pratiques dont la répétition quotidienne dépose et appesantit dans l’esprit l’idée du surnaturel : voilà, par-dessus la pitié naturelle, le poids surajouté qui fixe la volonté instable et maintient à demeure l’âme dans l’abnégation. — À Paris, dans les deux salles de la préfecture de police où les filles et les voleuses arrêtées restent un ou deux jours en dépôt provisoire, les religieuses de Marie-Joseph, condamnées par leurs vœux à vivre dans cet égout toujours coulant de boue humaine, sentent parfois leur cœur défaillir ; par bonheur, on leur a ménagé dans un coin une petite chapelle ; elles y vont prier, et, au bout d’un quart d’heure, elles ont refait leur provision de courage et de douceur. — Très justement, et avec l’autorité d’une longue expérience, le père Étienne, supérieur des Lazaristes et des Filles de Saint-Vincent de Paule, disait à des visiteurs étrangers[1] : « Je vous ai fait connaître le détail de notre

  1. La Charité à Nancy, par l’abbé Gérard, p. 245. — Le même jugement est porté par le révérend Th.-W. Allies, Journal d’un voyage en France, 1848, p. 291. « Le dogme de la présence réelle est le centre de toute la vie de l’église (catholique) : c’est le secret appui du prêtre dans sa mission si pénible et si remplie d’abnégation ; c’est par là que les ordres religieux se maintiennent. »