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pacifiques, ces manifestations ne l’ont pas été partout, sur tous les points, dans toutes les contrées de l’Europe, et la journée n’est pas allée jusqu’au bout sans accident. En France, dans la plus grande partie du pays, surtout à Paris même, dans l’intérieur de Paris, la paix des rues a été à peu près maintenue par la simple police ; tout s’est borné à des réunions, à des banquets, à des délégations qui sont allées porter à M. le président Floquet le programme des revendications socialistes. Il n’en a malheureusement pas été de même sur d’autres points de la France, dans quelques villes où l’agitation devenait menaçante. A Marseille, la force publique a dû être employée contre les manifestations, et un député socialiste s’est même fait arrêter dans une bagarre. A Lyon, la cavalerie a été obligée de charger pour disperser des rassemblemens où il y avait plus d’anarchistes que de vrais ouvriers. Aux portes de Paris, à Saint-Ouen et à Clichy, des gendarmes, des agens de police ont eu à essuyer le feu de prétendus manifestans et ont été réduits à se défendre ; ils ont été blessés en faisant leur devoir. Ce ne sont là pourtant, si l’on veut, que de simples détails, de petits incidens d’un jour de manifestation faits pour pâlir devant les scènes bien autrement douloureuses qui se sont produites dans le Nord, à Fourmies, ou a éclaté un conflit tragique et meurtrier. Ici, il faut l’avouer, ce n’est plus un incident de répression ordinaire ; c’est un de ces événemens qui sont toujours de nature à émouvoir l’opinion, à peser sur le gouvernement lui-même chargé de sauvegarder l’ordre public el à trouver un écho dans le parlement.

Comment la catastrophe a-t-elle pu arriver ? Cela a dû se passer, en vérité, comme cela se passe ou peut toujours se passer quand on pousse dans la rue des masses échauffées et surexcitées. La journée avait mal débute à Foui nues ; elle avait commencé par une tentative des grévistes de cette industrieuse petite ville pour débaucher les ouvriers qui prêteraient rester au travail et par l’arrestation de quelques-uns de ceux qui, en réalité, portaient la plus grave atteinte à la liberté de leurs camarades. Quelques gendarmes avaient été blessés dans cette échauffourée du matin. Ces premiers incidens n’étaient point un préliminaire trop rassurant. Bientôt, en effet, l’agitation grandissait, les esprits se montaient. Une bande se formait pour aller délivrer les prisonniers, pour marcher sur la mairie, gardée par une compagnie d’infanterie. On ne peut pas dire que les manifestans fussent absolument inoffensifs ; ils arrivaient, au contraire, drapeau en tête, visiblement surexcités, armés de bâtons, de pierres, ou même de revolvers. Vainement on les sommait de s’arrêter, ils n’écoutaient rien, ils ne cessaient de marcher ; ils approchaient assez de la troupe pour qu’il y eût presque un corps à corps. Déjà le sang avait coulé, quelques soldats avaient été blessés. Un officier était sur le point d’être enlevé et n’était délivré qu’à grand’peine. C’est alors que les soldats, au