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Germaine sera l’épouse plus intelligente, plus dévouée et plus pudique d’un mari moins réservé et moins imprudent. Décidément, le troisième acte d’Amoureuse, c’est la conversion de la femme et le salut du ménage par l’adultère, et ce dénoûment nous a paru d’une philosophie aussi hardie qu’amère. Était-elle nécessaire ? Pas plus, je crois, que la gauloiserie du premier acte. Si M. de Porto-Riche voulait traiter ce sujet intéressant et douloureux : l’inégalité dans l’amour, il pouvait séparer le mari et la femme, les éloigner de plus en plus l’un de l’autre par un plus noble désaccord, plus touchant aussi, qu’un désaccord physiologique. C’est entre deux esprits et deux âmes qu’il fallait noter les disparates et creuser le précipice. La belle scène du second acte restait ainsi l’apogée de l’œuvre, mais d’une œuvre autrement grave et forte. Et d’un pareil sommet nous serions redescendus plus naturellement et plus doucement, sans la secousse finale dont notre esprit demeure troublé ; la crise conjugale pouvait être aussi pathétique, avec des paroles et des menaces aussi atroces, mais des menaces seulement. Germaine aurait couru à l’abîme, mais elle n’y serait pas tombée ; le vertige suffisait sans la chute. Rien d’irréparable alors, rien d’inoubliable n’était commis, et l’amour revenait dans cette maison, corrigé, purifié, mais non flétri.

L’auteur ne l’a pas voulu. Il a voulu la leçon brutale et le dénoûment cynique. Il a réveillé l’amour du mari par la faute même de la femme, en tout cas, après cette faute seulement. Prêt hier à quitter Germaine trop amoureuse, mais pourtant amoureuse sans reproche, Étienne aujourd’hui la rappelle coupable, et ce n’est qu’infidèles que ces petites lèvres de femme auront enfin leur compte de baisers. En vérité, M. de Porto-Riche avait raison d’appeler ennemie une pareille amoureuse. Ennemie d’abord du travail, ennemie de l’intelligence, elle aura été aussi l’ennemie de la dignité et de l’honneur. Si par un premier acte trop leste, par un dénoûment inquiétant, M. de Porto-Riche arrive à une pareille conclusion : la femme, et la femme légitime, voilà l’ennemie, on nous accordera peut-être que malgré tout le talent de l’auteur, malgré celui d’interprètes parfaits comme M. Dumény et Mlle Réjane, celle-ci plus exquise que jamais et surtout plus diversement exquise, une telle comédie n’en demeure pas moins scabreuse, immorale et triste.


CAMILLE BELLAIGUE.