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docteur Dusart a fait plus de cent expériences analogues avec succès. Il a endormi ou réveillé son sujet à des distances de cinq et dix kilomètres. Le même sujet, que son père endormait aussi, reconnaissait l’action de M. Dusart et la distinguait de toute autre. Le sujet de MM. Janet et Gibert savait si c’était le premier ou le second qui l’avait endormie. M. Richet a fait des tentatives analogues, mais avec un succès incertain.

Dans l’hypnotisation à distance, il faut que l’hypnotiseur concentre non-seulement sa pensée, mais encore sa volonté sur le sommeil à produire. D’après M. Pierre Janet, M. Héricourt, M. Dusart, la croyance qu’a le sujet que son hypnotiseur habituel est en train de l’endormir à distance reste inefficace si l’hypnotiseur ne concentre pas énergiquement sa volonté : l’auto-suggestion est donc nulle ; il faut une action distincte de l’opérateur.

Non-seulement on peut endormir par la force de la pensée, mais on peut, par la même force, faire des suggestions à une personne déjà endormie. M. Gibert suggère mentalement à Mme B… d’arroser le jardin le lendemain à deux heures vingt. Le lendemain, à l’heure exacte, elle prend un seau, le remplit d’eau et arrose le bas du jardin. Une autre fois, M. Gibert convient d’endormir de chez lui Mme B… par la pensée, puis de la forcer à se lever et à venir le rejoindre. Au bout d’un certain temps, Mme B… tombe en somnambulisme, sort brusquement de sa maison et marche à pas précipités ; elle avait les yeux fermés, mais évitait tous les obstacles avec adresse et arriva sans encombre. À peine arrivée, elle tomba sur un fauteuil, dans la léthargie la plus profonde. Cette léthargie ne fut interrompue qu’un instant par une période de somnambulisme proprement dit, où elle murmura : « Je suis venue… J’ai vu M. Janet. J’ai réfléchi qu’il ne faut pas que je prenne la rue d’Étretat : il y a trop de monde[1]… » Cette expérience fut recommencée avec succès, une fois devant M. Paul Janet, venu au Havre pour y assister, une autre fois devant M. Myers, venu d’Angleterre, M. Marillier et M. Ochorowicz[2]

  1. Revue philosophique, 1886, t. II, p. 221.
  2. Si M. Pierre Janet approche son front de celui du sujet endormi (Mme B…) et donne un commandement par la pensée pour le lendemain à telle heure, Mme B… prend la main de M. Pierre Janet et la serre, « comme pour indiquer qu’elle a compris. » Le lendemain, à l’heure exacte où la suggestion faite mentalement doit être exécutée, Mme B… est prise de grands troubles : « Elle sait, dit-elle, qu’elle a quelque chose à faire, mais elle ne sait pas quoi. » Elle n’a compris ou retenu du commandement que l’heure, et non l’acte à exécute*". Une fois, cependant, M. Janet lui avait suggéré par la pensée de prendre une lampe, à onze heures du matin, et de la porter au salon. À onze heures, elle prend des allumettes et les enflamme les unes après les autres, en proie à la plus grande agitation. M. Pierre Janet l’endort pour la calmer et Mme B… s’écrie alors : « Pourquoi voulez-vous me faire allumer une lampe ce matin ? Il fait grand jour. »
    M. Ochorowicz raconte ainsi une de ses expériences de suggestion mentale : Lève ta main droite ! Je concentre ma pensée sur le bras droit de la malade, comme s’il était le mien ; je m’imagine son mouvement à plusieurs reprises, tout en voulant contraindre la malade par un ordre intérieurement parlé… Première minute : action nulle ; deuxième minute : agitation dans la main droite ; troisième minute : l’agitation augmente, la malade fronce les sourcils et lève la main droite, qui retombe quelques secondes après… Va à ton frère et embrasse-le. Elle se lève, s’avance vers moi, puis vers son frère. Elle tâte l’air près de sa tête, mais ne le touche pas, s’arrête devant lui en hésitant ; elle se rapproche lentement et l’embrasse sur le front en tressaillant. »
    La Société pour les recherches psychiques, en Angleterre et en Amérique, s’est livrée à des expériences très patientes et très minutieuses sur la transmission de la pensée à des personnes hypnotisées et même non hypnotisées. Ces résultats, quoique frappans dans certains cas, ne nous semblent guère probans dans l’ensemble.