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brûlure et par la réaliser ainsi dans ses effets cérébraux ; puis l’effet devient cause, et la chaleur sentie dans le cerveau va rayonnant jusqu’à la peau même, dans telles limites déterminées par ce que les psychologues appellent « les signes locaux. » De même qu’on produit, par la suggestion de l’idée, les effets d’un vésicatoire, de même on peut, par suggestion, empêcher les effets d’un vésicatoire réel et le développement des phlyctènes. Il faut donc supposer que la persuasion profonde de l’impossibilité d’une vésication, en produisant une sorte de résistance tout le long du système nerveux et en haussant le ton des fonctions végétatives, a pu contre-balancer l’effet irritant des cantharides : c’est là un des exemples les plus frappans de la force que peut avoir une idée, par les sensations et impulsions affaiblies qu’elle renferme et qui se renforcent à un moment donné.

Il est facile d’en conclure que, pour se guérir d’un mal, la première condition est de se persuader ou que le mal n’existe pas ou qu’il n’est pas grave. L’idée du mal, au contraire, tend à produire et à aggraver le mal même. M. Delbœuf a insisté avec raison sur l’effet fâcheux de la souffrance, qui, entretenant l’idée du mal, entretient le mal même et occasionne, en tout ou en partie, les accidens consécutifs. La douleur qui prend naissance au point affecté ne tarde pas à étendre la lésion, puis « fait avalanche. » Qu’on enlève ou atténue la douleur, on enlèvera ou on affaiblira l’un des facteurs du mal organique. Même dans l’état normal, nous « créons l’agrandissement de la plaie à force de la sentir et d’avoir notre attention fixée sur elle. » L’hypnotisme, qui distrait cette attention, opère en sens inverse de la douleur : il diminue le mal en faisant que nous n’y songions plus. On explique aussi par là, dans une certaine mesure, une partie de l’action des remèdes ordinaires. En calmant les symptômes, les remèdes calment l’esprit, et peut-être leur attribue-t-on parfois une efficacité qui est due « à l’imagination tranquillisée du malade. » Il y a donc du bon même dans la médecine des symptômes[1].

Considérés philosophiquement, ces faits prouvent, une fois de plus, que la douleur et la pensée ne sont pas, dans la nature, des « épiphénomènes » sans influence, dont l’être vivant pourrait se passer. Douleur et idée impliquent certains « processus » de

  1. M. Delbœuf rapproche de ces faits l’action calmante exercée par la présence du docteur, par la confiance qu’il affecte et qu’il inspire. Les malades qui aiment à changer de médecin ou de régime se félicitent pendant quelque temps, après chaque changement, du bien-être qu’ils éprouvent. Les succès des homéopathes ne tiennent probablement pas à une autre cause.