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après tout, que des apparences. Le mouvement populaire du mois d’octobre ne paraît pas spontané comme celui du 12 juillet précédent, qui s’explique par la crainte d’un coup d’État tenté contre l’assemblée. Le peuple de Paris n’avait pas de motifs particuliers d’irritation. On ne craignait plus l’effroyable disette des premiers mois de 1789. Ni La Fayette, ni Brissot, ni Alexandre de Lameth ne croient que le défaut de subsistances fût réel. L’affaiblissement du pouvoir central, le manque de confiance, la crainte du pillage, rendaient la circulation des grains et l’approvisionnement de Paris plus difficiles ; mais la famine ne menaçait pas la capitale. Il semble que le mouvement ait été provoqué par de tout autres causes, préparé de longue main et soudoyé. Tous les officiers du régiment de Flandre déclarèrent que leurs soldats avaient reçu de l’argent. Des émeutiers qui se plaignaient de la faim portaient sur eux des sommes importantes. Le personnel même des bandes parisiennes était fort bigarré. A côté des hommes du peuple on y voyait des filles publiques, des gens qui n’appartenaient point aux classes populaires, des meneurs déguisés en femmes. Tout ce monde paraissait embrigadé et dirigé.

Les réunions en plein vent, les assemblées de district commençaient à exercer leur redoutable influence en attendant que les clubs fussent créés. « C’est nous qui les faisons agir, » disait un homme politique en parlant des Parisiens. Personne ne pouvait affirmer que le duc d’Orléans fût le chef du mouvement. On ne le voyait pas à la tête des agitateurs, mais ceux-ci se servaient de son nom, comme ils se servaient de sa résidence du Palais-Royal pour y installer en permanence les états-généraux de l’émeute. Avant que la correspondance de Mirabeau avec le comte de La Marck eût été publiée par M. de Bacourt, on croyait Mirabeau plus lié avec le prince qu’il ne le fut en réalité. Pendant quelques mois, la faveur populaire avait rapproché leurs noms, le peuple les acclamait tous deux en même temps. On en concluait qu’ils avaient associé leurs destinées politiques.

Rien de moins certain. Ils se connurent au contraire fort tard, ne se virent que rarement et n’éprouvèrent l’un pour l’autre que peu de sympathie. La meilleure preuve que Mirabeau n’a jamais servi la politique du duc d’Orléans, dit M. Charles de Loménie, c’est qu’il ne lui a jamais demandé d’argent. L’argument est dur, mais péremptoire. La gêne au milieu de laquelle se débattait l’orateur avec ses goûts de luxe et de dépense l’aurait certainement amené à une demande de subsides s’il y avait eu de sa part des services rendus. Il n’en rendit sans doute aucun parce qu’il n’en eut pas le temps, parce qu’il vit s’évanouir en quelques mois une fortune sur