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accusa Mirabeau d’être passé ce jour-là, vers quatre heures et demie, un sabre nu à la main, devant le front du régiment de Flandre rangé en bataille sur la place d’armes et d’avoir excité les soldats à la révolte. Il se défendit spirituellement d’une accusation dont en réalité la preuve ne fut jamais faite.

Il n’en fut pas moins soupçonné d’une complicité secrète avec ceux qui avaient envahi la salle des séances de l’assemblée et le château de Versailles. Sa conduite autorisa tous les soupçons. Préparait-il, comme quelques-uns l’ont cru, l’abdication de Louis XVI et la régence du duc d’Orléans ? Voulait-il simplement ménager sa popularité auprès des Parisiens ? Il ne parut en tout cas témoigner pour le roi aucun de ces sentimens de respect et de fidélité dont il avait fait montre en d’autres circonstances. Dans la matinée du 6 octobre, lorsque Louis XVI, après avoir promis de partir pour Paris, faisait prier les députés de se rendre auprès de lui, Mirabeau soutint qu’on ne pouvait délibérer dans le palais et qu’une telle démarche serait contraire à la dignité de l’assemblée. Malgré l’énergique insistance du président Mounier, ce fut l’avis de Mirabeau qui l’emporta. L’assemblée resta en séance.

Elle décida seulement d’envoyer cent de ses membres pour accompagner le roi à Paris. Mirabeau demanda avec instance à faire partie de cette députation. Mais il eut beau invoquer les services qu’il pourrait rendre, la popularité dont il jouissait auprès de la population parisienne, le président Mounier, indigné de sa conduite, l’empêcha d’être nommé. Il ne réussit pas davantage à faire adopter un projet d’adresse au peuple français dans lequel se révélait sa véritable opinion sur les journées des 5 et 6 octobre. Il y colorait les événemens, comme il le fit, du reste, dans son journal ; il dissimulait les scènes de violence et de massacre, il y présentait sous un jour favorable tout ce qui venait de se passer et annonçait même, en finissant, « que le vaisseau de l’État allait s’élancer vers le port, plus rapide que jamais. »

Quoiqu’il soit bien difficile de démêler la vérité à travers les contradictions et les inconséquences du langage de Mirabeau, M. Charles de Loménie écarte avec vraisemblance toute idée d’un accord formel qui eût été conclu à cette époque entre le duc d’Orléans et l’orateur. Mirabeau se défendit plus facilement que le duc d’Orléans de toute responsabilité directe dans les événemens des 5 et 6 octobre. La droite de l’assemblée, dans ses jugemens et dans ses demandes de poursuites contre les complices de l’insurrection, ménageait Mirabeau plus que le prince. Cela ne veut pas dire que celui-ci fût coupable. Au fond, on ne sait rien de précis. Les apparences sont, il est vrai, contre le duc d’Orléans ; mais ce ne sont,