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me prend les mains, il me donne des coups de poing ; il va ensuite à l’assemblée, reprend sa dignité en entrant dans le vestiaire et fait des merveilles. Après quoi il revient dîner avec une excellente compagnie, et parfois sa maîtresse, et nous buvons d’excellens vins. »

Tout le monde savait que le 30 août, lorsque le peuple avait déjà failli marcher sur Versailles, c’était le même Camille Desmoulins qui avait harangué la foule au Palais-Royal, annoncé que la vie de Mirabeau était mise en danger par les aristocrates, proposé d’envoyer quinze mille hommes pour chercher le roi et faire enfermer la reine à Saint-Cyr. En voyant l’intimité des deux personnages, on se demandait si Mirabeau, lui aussi, n’avait pas conseillé ou tout au moins encouragé la marche sur Versailles. Quelques jours avant le 5 octobre, il disait mystérieusement au libraire Blaisot qu’il fallait s’attendre à des événemens malheureux. Le 5 octobre, avant que les Parisiens se fussent mis en route pour Versailles, il parlait avec sévérité du banquet des gardes du corps qui avait causé une si grande émotion dans le public et paru outrageant pour l’assemblée nationale. Pétion ayant déposé une dénonciation à ce sujet, Mirabeau commença par déclarer qu’il la trouvait souverainement impolitique, puis ajouta qu’il la signerait si l’assemblée voulait bien décider « que la personne du roi est seule inviolable, et que tous les autres individus de l’état, quels qu’ils soient, sont également sujets et responsables devant la loi. »

L’allusion fut comprise dans les tribunes. « Quoi ! la reine ! dit une voix à côté de Mme de Genlis. — La reine comme les autres, répondit une autre voix. » On prétend que pour ne laisser aucun doute sur la portée de ces paroles, Mirabeau avait dit en retournant à sa place, assez haut pour être entendu par les tribunes : « Je dénoncerais la reine et le duc de Guiche, l’un des capitaines des gardes. » Il était alors près de midi. Mirabeau savait à cette heure-là que les Parisiens marchaient sur Versailles. Il monta derrière le fauteuil du président Mounier pour l’en avertir, pour l’engager même à lever la séance, puis disparut[1]. Il avait quitté la salle lorsque Maillard, accompagné d’une quinzaine de femmes, se présenta à la barre de l’assemblée pour exposer en termes violens la disette des Parisiens, leurs griefs contre les aristocrates et les gardes du corps. Pendant ce temps, la foule acclamait les deux noms de Mirabeau et du duc d’Orléans également absent. On

  1. Le comte de La Marck affirme que Mirabeau passa chez lui le reste de cette journée jusqu’à six heures du soir.