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les animant par le jeu de la physionomie et par l’accent. Ce jour-là, il avait puisé ses principaux argumens dans un ouvrage obscur, qu’il ne réussit pas à éclaircir. L’assemblée l’écouta d’abord avec froideur en le voyant contre son habitude empêtré dans ses raisonnemens et dans ses périodes, puis avec des murmures, lorsqu’elle découvrit le fond de sa pensée. Quoiqu’il essayât de réveiller de temps en temps l’attention par des hardiesses de langage, il eut beaucoup de peine à terminer sa lecture. C’est la seule fois où ses amis le virent déconcerté. Lui-même avoua que, vers la fin, se sentant hors d’état de tirer parti d’un texte qu’il n’avait pas assez médité, il était couvert d’une sueur froide. Son discours avait laissé une impression si confuse, avait été en général si peu entendu ou si peu compris, que Mirabeau put s’abstenir au moment du vote et recevoir les éloges de Camille Desmoulins, avec lequel il était alors en grande coquetterie, tandis que ceux qui avaient voté dans le sens de ses conclusions étaient couverts d’injures par le parti populaire. Là encore, au moment même où il fait preuve de sagacité politique, nous surprenons l’orateur en flagrant délit de complaisance pour la démagogie.


IV

Quelle fut l’attitude de Mirabeau pendant les journées révolutionnaires des 5 et 6 octobre ? Les modérés la jugèrent en général très sévèrement. Ses relations avec quelques-uns des agitateurs les plus connus de Paris, notamment avec Camille Desmoulins, le leur rendaient suspect. L’auteur du Discours de la lanterne aux Parisiens passa, en effet, les derniers jours de septembre et les premiers jours d’octobre 1789 dans la maison même de Mirabeau à Versailles. Il y était peut-être encore le jour où arrivèrent les bandes de Parisiens qui allaient chercher le roi pour le conduire à Paris. Mounier les rencontra tous deux chez le peintre Boze. Pendant que Mirabeau parlait à Mounier de ses principes et des idées de modération qui leur étaient communes, Camille Desmoulins confessa qu’il aimerait mieux n’avoir point de monarque et qu’il s’efforcerait d’arriver à ce point de perfection. Mirabeau, qui se déclarait en théorie si partisan du maintien de la monarchie, ne paraissait pas choqué du langage de son compagnon. Tous deux sortirent ensemble en ayant l’air de s’entendre à merveille.

Leur intimité est encore établie par une lettre que Camille Desmoulins écrit à son père le 27 septembre : « Depuis huit jours, je suis à Versailles chez Mirabeau. Nous sommes devenus de grands amis ; au moins m’appelle-t-il son cher ami. A chaque instant, il