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rétablissement des privilèges ? L’opinion publique ne se serait-elle pas prononcée avec fureur contre cette résurrection d’une aristocratie ?

N’oublions pas que l’assemblée constituante, quoiqu’elle n’ait pas subi les humiliations des assemblées postérieures, délibérait sous les yeux du public. Les députés n’entraient en séance qu’après avoir traversé les rangs d’une foule qui manifestait sur leur passage ses sentimens d’approbation ou de blâme. Les tribunes, à leur tour, intimidaient ou encourageaient les orateurs, suivant que ceux-ci résistaient ou cédaient aux passions populaires. Tout ce qui ressemblait à un réveil des privilèges irritait les assistans. On enlevait tous les suffrages lorsqu’on rappelait les difficultés qu’avait rencontrées la réunion des trois ordres, le danger qu’il y aurait à se séparer de nouveau et à reconstituer deux pouvoirs législatifs distincts. La réunion des ordres avait été saluée comme une victoire du tiers-état et de la nation, la division eût été considérée comme une revanche de l’aristocratie. Ce genre d’argument, plus spécieux que solide, produisait sur l’assemblée et sur les tribunes un effet infaillible. La noblesse elle-même repoussait la création d’une chambre haute ; elle savait bien que ses principaux membres n’en feraient pas partie de droit ; elle craignait au contraire que les sièges du sénat ne servissent à récompenser le zèle et l’esprit novateur des dissidens de l’ordre.

D’avance et à plusieurs reprises, Mirabeau s’était publiquement prononcé contre l’institution de deux chambres. Il ne prit pas la parole dans la discussion, mais il travailla secrètement à entretenir les défiances de la noblesse. Le jour du vote, la proposition ne fut plus soutenue que par quatre-vingt-neuf députés, la majorité de la noblesse et du clergé prêta son concours au tiers-état pour la repousser. Sur la question de la sanction royale, Mirabeau n’était pas moins engagé par ses déclarations antérieures. Il avait souvent répété que l’autorité du roi ne pouvait se rajeunir que par une alliance avec le peuple, et qu’en revanche la démocratie nouvelle ne serait dirigée et contenue que par la royauté. « Sans la sanction royale, disait-il, le 12 juin, j’aimerais mieux vivre à Constantinople qu’à Paris. — Quand il sera question de la prérogative royale, ajoutait-il, c’est-à-dire, comme je le démontrerai en son temps, du plus précieux domaine du peuple, on verra si j’en conçois l’étendue, et je défie d’avance le plus royaliste de mes collègues d’en porter plus loin le respect religieux. »

Il tint parole, en effet ; il défendit le veto absolu. Mais, malgré la puissance de ses facultés oratoires, il n’osait pas encore improviser, il écrivait et lisait la plus grande partie de ses discours en