Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/421

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gouvernement ne se faisait plus sentir. On venait de passer successivement par de telles alternatives de joie et de crainte, on s’était si bien habitué aux réunions et aux discussions politiques, que l’équilibre se rétablissait difficilement dans les esprits. On vivait d’une vie fiévreuse, toujours sous le coup de quelque surprise et de quelque menace.

C’est le moment que le roi choisit avec une imprudence inouïe pour renvoyer Necker, le seul de ses ministres qui fût populaire. Il n’en fallut pas davantage pour exaspérer la population parisienne, déjà très agitée. A la peur de la famine suspendue depuis quelque temps sur la grande ville s’ajouta celle d’un coup d’État. Quand on vit une armée de troupes étrangères se constituer à Versailles, le château se transformer en quartier-général et le jardin en camp, la cour fut immédiatement accusée de vouloir disperser par la force les représentans de la nation.

Personne ne sait au juste si un coup d’État avait été réellement prémédité dans les conseils de la couronne ; il est même très vraisemblable que l’esprit irrésolu de Louis XVI ne s’était pas arrêté à une résolution si grave ; mais toutes les mesures ordonnées et prises, le déploiement des troupes, le choix des nouveaux ministres avaient un caractère menaçant pour l’assemblée nationale. Alexandre de Lameth a peint en termes saisissans ce qu’il avait éprouvé alors, ce qu’éprouvaient sans doute la plupart de ses collègues : « Ces 10,000 hommes de régimens étrangers, suisses ou allemands, défilant vers minuit sur la place d’armes, sous les fenêtres du roi, se rendant à différens postes, et particulièrement à l’Orangerie, dont on ne laissait approcher aucun citoyen… le plus profond silence régnant partout, point de tambours, pas un commandement de la part des officiers, pas un mot de la part des spectateurs, et seulement le bruit monotone du pas ordinaire qui, d’après les idées dont tous les esprits étaient préoccupés, avait quelque chose de sinistre et semblait présager de tragiques événemens. »

Le bruit se répandait que des membres de l’assemblée allaient être arrêtés. On citait les noms des suspects. Mathieu de Montmorency annonçait qu’il ne serait pas de la première fournée, mais qu’il mériterait certainement d’être de la seconde. Mirabeau était des plus compromis. Il s’attendait chaque soir à être appréhendé au corps dans le logement qu’il occupait à Versailles, rue de l’Orangerie. Est-ce l’irritation qui l’emporte alors ? N’est-ce pas plutôt le désir d’accroître sa popularité et de faire sentir son importance à la cour ? Le premier dans l’assemblée, il propose de demander au roi l’éloignement des troupes. L’adresse qu’il est chargé de