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il se présentait comme le libérateur de la Provence, comme l’orateur le plus éloquent de son siècle. A l’en croire, « sa voix dominait dans les assemblées publiques, comme le tonnerre couvre le mugissement de la mer ; son courage étonnait encore plus que son talent, sa vie publique depuis quinze années était une suite de combats et de triomphes. »

Heureusement ces notes fausses et criardes, ce ton de déclamation vulgaire ne sont pas dans les habitudes de Mirabeau. Il s’en sert pour les besoins de sa cause, comme la plupart des Méridionaux, il n’en sent même pas le ridicule, au moment où il les emploie. Il a ainsi un avantage sur les délicats, qui pour rien au monde, même pour réussir, ne se résigneraient à commettre une faute de goût. Mais une fois les premières fumées de la bataille dissipées, il retrouve la pondération et l’équilibre qui sont les vrais signes de la force. Son génie est fait de raison en même temps que de passion. S’il a tous les emportemens d’une nature fougueuse, il a aussi tous les retours du bon sens. Ses idées sont beaucoup plus modérées que ne le ferait croire la véhémence de son action oratoire. Une partie de sa fougue s’évapore en paroles. C’est encore là un trait de caractère qui trahit son origine. Comme il faut distinguer, dans tout le Midi, entre la chaleur de l’expression et le fond même des idées ! Que de choses y sont purement verbales et extérieures ! Que de paroles sortent des lèvres, sans que la tête soit vraiment troublée, ou le cœur vraiment ému !

Nous venons de voir Mirabeau sous la figure d’un révolutionnaire. Un instant après il nous apparaît comme un sage et un modérateur. Avant de jouer successivement ces deux rôles dans l’assemblée nationale, il les a déjà joués dans sa province. Nulle part, la période qui précéda les élections ne fut plus tumultueuse qu’en Provence. Les souffrances étaient grandes, beaucoup d’oliviers avaient été gelés pendant l’hiver ; les opérations électorales du premier degré, qui commencèrent le 15 mars 1789, amenèrent dans chaque communauté des réunions et des conciliabules. En rédigeant les cahiers particuliers qui devaient servir à la rédaction des cahiers provinciaux, on parla naturellement de la misère publique et des moyens d’y remédier. Les têtes s’échauffèrent, l’idée se répandit que, par la volonté même du roi, la convocation des états-généraux allait être le signal d’un changement absolu dans les conditions et dans les fortunes. Les impôts de consommation pesaient lourdement sur le peuple, on en exigea la suppression immédiate, on maltraita les agens et on détruisit les bâtimens affectés à leur perception. On somma les officiers municipaux d’abaisser le prix courant des denrées comestibles, les seigneurs de renoncer à leurs