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Le citoyen et l’ambitieux se révèlent également sous une forme presque naïve dans la lettre qu’il écrit au major Mauvillon en apprenant la convocation définitive des états-généraux : « C’est un pas d’un siècle que la nation a fait en vingt-quatre heures. Ah ! mon ami, vous verrez quelle nation ce sera que celle-ci le jour où elle sera constituée, le jour où le talent aussi sera une puissance. J’espère qu’à cette époque vous entendrez parler favorablement de votre ami. »


I

Reste maintenant, pour lui, une question redoutable à résoudre. Par quelle porte entrera-t-il dans la nouvelle assemblée ? Il se le demande avec anxiété en calculant ses chances, en ne négligeant rien de ce qui peut lui être utile dans cette circonstance critique. Le mieux, sans doute, serait d’être appuyé par le gouvernement. Avant même que le régime parlementaire ait fonctionné, il a déjà découvert avec sa fertilité ordinaire d’invention les avantages de la candidature officielle. En relation avec M. de Montmorin, qui, tout en le tenant à distance, rémunère ses écrits politiques, il prend résolument le ministre pour confident de ses projets. En échange de l’appui qu’il sollicite, il offre un plan de conduite à tenir, des résolutions à soumettre aux états-généraux. Si on veut bien s’en rapporter à lui, il se fait fort de prévenir tout conflit entre les deux pouvoirs. Mais il fixe tout de suite ses conditions et son prix. Il ne livrera son secret que contre la promesse d’un siège de député. Quoique les pratiques électorales se soient perfectionnées depuis un siècle, on a rarement abordé une question de ce genre avec autant de désinvolture et si peu de scrupules que Mirabeau. « Aurez-vous le courage, écrit-il au ministre, de mettre une fois à son poste de citoyen un sujet fidèle, un homme courageux, un intrépide défenseur de la justice et de la vérité ? Sans le concours, du moins secret, du gouvernement, je ne puis être aux états-généraux. »

Un peu plus tard, il ne se contente pas d’un appui moral, il demande très nettement des subsides. La campagne électorale sera onéreuse, il espère qu’on lui fournira le moyen de faire face à des dépenses qu’il est hors d’état de supporter.

Il avait d’abord pensé à l’Alsace, puis à la Provence, où l’appelaient naturellement le souvenir de ses premiers succès oratoires et les traditions de sa famille. Entre temps, pour se ménager une seconde chance, il faisait l’acquisition fictive d’un petit fiel en Dauphiné. Il avait à payer, de ce chef, le 20 novembre 1788, une