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on élève au-dessus du puits en construction des vichkas, espèces d’échafaudages avec une tour pyramidale qui facilite le jeu des instrumens de forage et peut arrêter les jets ordinaires à 20 ou 30 mètres de hauteur. Qu’on se figure une cheminée sortant du toit d’une vaste chambre longue de 20 à 25 mètres, large de 7 ; le toit a 15 mètres de longueur, et le sommet de la cheminée présente une surface de 6 mètres sur 4 ou 5. Quelquefois on supprime la chambre, dont la principale utilité consiste à permettre d’établir commodément les tuyaux d’exploitation quand le jet devient régulier. Malgré ces précautions, la force du jet, le choc des hydrocarbures solides contre la cheminée, la violence inégale et la brusque impétuosité du sable et des gaz détruisent souvent tous les travaux. On m’a montré à Balakhané deux plaques de fer de 10 centimètres d’épaisseur, que la friction du sable projeté avait perforées en très peu de temps. Les gaz qui se dégagent tout d’abord sont des hydrocarbures tels que le gaz des marais (C2H4), l’éthane (C2H6), le propane (C2H8), dont le sifflement s’entend de très loin, et qui forment avec l’oxygène de l’air des mélanges détonans fort dangereux.

Il est à remarquer que les dégagemens gazeux et les jets liquides sont plus violens au printemps, parce que l’exploitation se ralentit en hiver à cause de l’interruption de la navigation fluviale ; pour ne pas laisser perdre le pétrole à cette époque de repos forcé, les propriétaires ferment souvent l’orifice de leurs puits avec des plaques de fer très épaisses, nommées kalpaks[1] (terme tartare qui signifie « chapeaux »), et des tuyaux solides qui laissent échapper le liquide à volonté. Cependant on entend sortir de la terre des bruits sourds et prolongés, quelquefois un fracas terrible comme celui de la foudre ; c’est alors que les appareils régulateurs sont ébranlés, soulevés et même projetés avec violence, tandis que le sol s’affaisse par endroits jusqu’à fermer précisément le puits, auteur de ce désordre.

Tant de leçons ne vont pas sans porter quelques fruits, et pourtant l’outillage est encore loin d’avoir atteint la perfection de l’outillage américain. Les procédés d’exploitation en général laissent fort à désirer encore ; les tuyaux des raffineries sont mal établis, et le naphte est en partie perdu. M. Marvin cite le cas extraordinaire d’un propriétaire déclaré en faillite à Bakou, tandis que son puits lançait par jour des millions de kilogrammes de naphte ; la vérité, c’est qu’il y en avait trop pour qu’on pût en recueillir une goutte, et voilà comment un puits qui serait une fortune en Amérique est

  1. Ces kalpaks, comme on le verra plus loin, ne suffisent pas toujours à contenir les jets de sources jaillissantes.