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moitié de la quantité produite annuellement par l’Amérique. Que sera-ce, avec un outillage plus perfectionné, quand l’industrie pétrolifère s’étendra sur les 500,000 kilomètres carrés du Turkestan, sur le Moughan et le Daghestan, plus vastes que la France, sur le Kouban, la Crimée et la chaîne entière du Caucase ? A Balakhané, les puits jaillissans sont d’une abondance telle que plusieurs ont donné, en quelques jours, plus de 16 millions de kilogrammes de naphte brut ; les jets de pétrole s’élèvent jusqu’à 80 ou 90 mètres de hauteur ; moi-même j’ai été baigné des pieds à la tête par une pluie de naphte, heureusement aussi inoffensive qu’elle était fine et serrée.

De Balakhané, le centre de l’exploitation du naphte brut s’étend graduellement vers le plateau de Sabountchi ; de nos jours, Sabountchi lui-même est dépassé par la production du cap Baïlof, qui a l’avantage d’être au bord de la mer (4 kilomètres de Bakou), tandis que Balakhané est à peu près à 50 mètres d’altitude. Ainsi la presqu’île tout entière est exploitée, ou du moins elle l’est dans toutes les directions : Balakhané au nord, Baïlof dans le sud. J’ai vu un puits, à Baïlof, qui avait lancé par jour des millions de pouds (1 poud = 16 kilogrammes), et qui en lançait encore de 200,000 à 300,000 ; les habitans, plus effrayés encore qu’émerveillés, redoutaient une inondation d’un nouveau genre, et surtout un incendie qui dévorerait en quelques jours toutes ces richesses et les richesses des sources voisines. Cette catastrophe arriva en effet quelques mois après. M. Taghief, le propriétaire de ce puits unique dans les annales de la science, a vu le jet atteindre une hauteur de 250 pieds, et le sable projeté venait tomber jusque dans les rues de Bakou. Malheureusement, pendant les dix-huit mois d’existence du puits, la plus grande partie du pétrole fut inutilement perdue. Après le puits de Droojba, qui semble incomparable (1883), le puits de Taghief a surpassé toute attente : qui sait ce que l’avenir réserve encore à cette étrange langue de terre ?

On pense bien que les propriétaires ne désirent nullement avoir beaucoup de puits semblables : le naphte ne peut être recueilli et se perd dans la Caspienne ; celui qui reste exposé à l’air devient bientôt impropre à l’éclairage, sinon au chauffage ; et, en définitive, tout puits dont le jet n’est pas régularisé demeure improductif. On a bien essayé de construire des appareils régulateurs : ainsi,