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fut, pendant près de trente siècles, la Jérusalem des guèbres, qui déployèrent constamment le plus grand zèle pour la défense de leur terre sainte. Après des alternatives nombreuses de succès et de revers, ils la virent saccagée en 1723 par Pierre le Grand ; ils la reprirent en 1735 ; mais en 1813, le traité de Gulistan l’abandonnait définitivement à la Russie. Ce fut le dernier coup ; les pèlerins disparurent peu à peu, le dernier mage s’éloigna lui-même vers 1850, et quand le tsar visita la Transcaucasie, en 1888, on dut faire venir des parsis de l’Inde pour lui donner une représentation des cérémonies mazdéistes. Le nom de guèbre subsiste encore ; l’origine en est inconnue, mais on l’a rapproché de l’arabe kébir (puissant), du phénicien kabara, du grec kabire. On sait que les dieux kabires ou infernaux étaient adorés avec une pompe extraordinaire, dans l’île volcanique de Samothrace et à Rome, en même temps qu’on célébrait les mystères mithriaques empruntés à la Perse.

Une autre raison de la célébrité de Bakou dans l’antiquité, c’était la situation de cette ville en face de l’embouchure de l’Oxus. L’Oxus, en effet, le moderne Amou-Daria, se jetait dans la Caspienne à l’époque de Strabon ; il devint tributaire de la mer d’Aral vers le VIe siècle, reprit son ancienne direction au XIVe, pour changer une dernière fois de lit deux siècles après. Tous les voyageurs s’accordent pour reconnaître dans les ruines qui bordent l’ancien parcours, les restes de villes nombreuses, autrefois florissantes, et comme frappées de mort par le brusque dessèchement du fleuve qui les alimentait ; la ville même de Bakou a beaucoup souffert de ces perturbations. Placée en face d’un rivage désormais stérile et inhabité, elle dépérissait lentement, et, sans l’industrie du pétrole, sans le chemin de fer de Samarkand, elle eût peut-être subi le sort des villes transcaspiennes.

L’étude de l’industrie pétrolifère demande une place à part ; nous rappellerons seulement ici l’antique célébrité du pétrole chez les Grecs de la légende et de l’histoire. Hérodote mentionne les sources de Zacynthe (aujourd’hui Zante), Pline celles d’Agrigente, en Sicile, Plutarque celles d’Ecbatane et de Babylone ; ils nommaient l’huile minérale πετρέλαιον (petrelaion), en latin petrolœum. Médée aurait enduit de pétrole la tunique de sa rivale Creuse pour la faire brûler au voisinage des flambeaux d’hyménée ; le centaure Nessus, on le sait, s’était ainsi vengé d’Hercule. Le feu grégeois, ce bitume liquide que l’eau ne pouvait éteindre, était sans doute du pétrole. Il est même étonnant que l’emploi de cette substance ne soit pas signalé plus tôt, puisque le grand Alexandre fit brûler devant lui un pauvre enfant enduit de pétrole et illuminer la ville de Babylone, le jour de son retour triomphal, par l’inflammation de deux