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désintéressée qu’ils le supposent eux-mêmes. Ces Italiens encombrent les usines, les quais, le port : ils sont les plus âpres au gain, probablement les plus sobres et peut-être, à la Nouvelle-Orléans comme sur d’autres places, empêchent-ils la hausse des salaires : navigateurs téméraires, ils bravent des dangers auxquels d’autres ne s’exposent pas : bref, leur concurrence est gênante. Le rapport du consul-général d’Italie à la Nouvelle-Orléans, reçu par M. di Rudini le 4 avril, constate en outre que la colonie italienne était très prospère avant les derniers troubles ; elle possédait 1,500 propriétés immobilières, dirigeait 3,000 magasins, exploitait un grand nombre de fermes, employait plusieurs bateaux à vapeur au transport des fruits tropicaux et des huîtres. En vérité, pouvait-on envisager tous ces gens-là comme des sicaires aiguisant leurs poignards ? ne leur devait-on pas d’autant plus des juges qu’on avait quelque intérêt à les trouver coupables ? Toutefois ces questions que se pose naturellement le premier venu, le gouvernement italien n’a pas voulu les poser, avec beaucoup de raison, au gouvernement fédéral.

Le consul-général reconnaissait lui-même, dans son rapport, qu’il y avait des repris de justice dans cette colonie. La diplomatie ne s’attardait pas à réfuter les journaux et laissait libre carrière à leurs investigations, peut-être à leur imagination. Elle aurait pu d’abord faire observer que le gouvernement royal avait des obstacles analogues à vaincre, et poursuivait lui-même, en ce moment, devant les tribunaux réguliers, 169 membres de la Mala vita : pourquoi les pouvoirs publics n’auraient-ils pas fait le même effort aux États-Unis ? Mais elle avait surtout le droit de demander, puisqu’on venait de massacrer quatre sujets du roi d’Italie, si l’on avait acquis, avant de les mettre à mort, la preuve de leur culpabilité. La Mafia pouvait avoir à se reprocher beaucoup de méfaits, sans s’être rendue coupable de ce dernier crime : elle pouvait être tout à fait capable de le commettre sans l’avoir commis. La chose valait d’autant mieux la peine d’être éclaircie que, dans l’opinion d’un certain J.-H. Moore[1], ex-lieutenant de police à la Nouvelle-Orléans, on s’était lancé sur une fausse piste en poursuivant la Mafia, et le meurtre de Hennessy cadet, comme celui de Hennessy l’aîné en 1872, se rattachait aux querelles suscitées vingt ans plus tôt par le Whiskey Ring et par le Sugar Ring[2], à la Nouvelle-Orléans. « Le gouvernement du roi, nous apprend le New-York Herald

  1. The New-York weekly Post, 18 mars.
  2. Voir, en ce qui concerne les Rings aux États-Unis, notre étude sur la Magistrature élue, publié dans la Revue du 1er août 1882.