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l’organisation de la Mafia, véritable péril social qu’il faut conjurer à tout prix. Les débris de la Camorra subsistent encore dans le sud de la péninsule. On juge actuellement en Sicile une société du même genre, la Mala vita, dont l’objet est le vol, où les soldats doivent sous peine de mort une obéissance passive aux chefs et dont les membres se lient par des sermens exécrables. En Louisiane, la Mafia terrorise la partie la plus honnête de la population et n’est elle-même intimidée par aucune répression légale. Les Italiens qui la composent sont, au dire d’une correspondance adressée de Washington à l’Evening Post, les plus misérables coquins qu’on puisse trouver dans tout le pays. Beaucoup d’entre eux n’ont d’autre moyen d’existence que le crime : ceux qui s’emploient dans quelque industrie avouable éliminent ou supplantent les Américains et les Irlandais par la menace du meurtre. C’est ainsi qu’ils accaparent et monopolisent, ou peu s’en faut, l’arrimage des navires, la vente du poisson et deux ou trois autres commerces. Contrebandiers et pirates, ils font avec une rouerie sans égale le trafic des objets de contrebande et des marchandises volées. Les immigrans napolitains et siciliens sont d’ailleurs, presque toujours, des water-dogs[1] incomparables ; ils s’élancent intrépidement sur la mer, dans des embarcations auxquelles un Anglais ne se fierait pas : ils vont et viennent, font un commerce de troc actif et lucratif avec les îles du golfe ou même avec les Antilles, mais sans qu’on sache au juste si les fruits délicieux et les autres marchandises dont ils approvisionnent le marché de la Nouvelle-Orléans sont bien ou mal acquis. Le chef de police Hennessy connaissait à fond la Mafia, n’ignorait aucune de ses ramifications, possédait les antécédens de ses principaux chefs, savait exactement l’heure et le lieu des réunions, la distribution des rôles, le secret des crimes accomplis et des crimes préparés ; il osait tenir tête à cette bande de scélérats et voulait la brider : donc il est tombé sous ses coups. Ses concitoyens devaient venger cette mort : si les membres de la Mafia voulaient à leur tour venger les exécutions du 14 mars, « le peuple de la Nouvelle-Orléans se lèverait comme un seul homme et balaierait cette race de la surface de la terre[2]. »

Les Italiens ont beaucoup à répondre.

On peut d’abord se demander, même à ne lire que cet acte d’accusation lancé contre la Mafia par la presse américaine, si la haine des citoyens particulièrement honorables (on l’assure) auxquels on doit l’exécution sommaire du 14 mars est aussi

  1. Mot à mot : « chiens allant à l’eau. »
  2. New York weekly Post, 18 mars.