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Peut-être même n’est-on pas fâché, du moins dans le Sud, de donner une leçon au gouvernement fédéral : on lui prouve ainsi, sans réplique, que les États particuliers peuvent se passer de ses conseils. Bien mieux, quand on répandit, vers le 4 avril, le bruit que les autorités fédérales allaient demander au gouverneur de la Louisiane l’arrestation des lynchers et leur comparution devant les juges fédéraux, certains journaux agitèrent le spectre d’une sécession nouvelle et rappelèrent que des feux mal éteints couvaient encore. Mais on n’avait pas songé jusqu’à présent que l’habitude d’envahir les prisons, de destituer les tribunaux et de pendre des accusés sans jugement pourrait provoquer des difficultés internationales quand les accusés ne seraient pas Américains. Cependant le cas n’était pas difficile à prévoir. Le moyen de faire comprendre à la foule irritée, à peu près inconsciente, que le droit des gens est en cause et que, si l’on peut prendre certaines libertés avec des compatriotes, il ne faut pas toucher aux étrangers ! Cette distinction étant beaucoup trop subtile pour le peuple (mob), il devait arriver nécessairement, un jour ou l’autre, qu’on touchât à des étrangers. C’est ce qu’on a fait le 14 mars, et d’une main peu délicate. Sur onze Siciliens d’origine massacrés à la Nouvelle-Orléans, quatre appartenaient à la nationalité italienne d’après la déclaration faite à Rome le 16 avril par M. di Rudini, président du conseil, s’adressant à la chambre des députés. Il était bien difficile, tout lecteur impartial en conviendra, qu’un gouvernement soucieux de sa dignité ne s’émût pas d’une exécution sommaire accomplie dans des conditions semblables, c’est-à-dire en violation de toutes les lois.

Qu’a fait l’Italie ? M. di Rudini l’a très clairement exposé dans la même séance. Il avait reçu tout d’abord du gouvernement fédéral des promesses satisfaisantes qui lui furent confirmées par le ministre des États-Unis à Rome. L’Italie, comme le président Harrison l’avait réclamé lui-même dans un télégramme au gouverneur de la Louisiane, avait demandé que les coupables fussent déférés aux tribunaux et que les familles des victimes fussent indemnisées. Cependant, comme l’effet ne suivait point les promesses, elle entendit bientôt obtenir une assurance formelle quant aux poursuites, et faire accepter irrévocablement par le gouvernement fédéral le principe de l’indemnité. Celui-ci se retrancha décidément derrière la Constitution, qui ne lui permettait pas de s’immiscer dans les affaires de la Louisiane. Le gouvernement italien répliqua qu’il n’avait pas à discuter la constitution des États-Unis, mais que son devoir était de faire respecter les principes du droit public international et qu’il ne pouvait pas admettre la théorie de