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corde est attachée à l’un des poteaux qui bordent cette voie. Toutefois, comme le pendu lutte et s’agite dans des contorsions désespérées, on le crible de balles. Le récit se termine par la phrase suivante : « A ce moment passait un train arrivant de Marshall : la foule, excitée, tira des coups de feu sur le train pendant qu’un certain nombre de voyageurs s’étaient mis à la portière pour contempler les dernières convulsions du pendu. Quelques-uns d’entre eux furent blessés » (several passengers were wounded).

7 mars. — La scène se passe à San-Antonio, dans le Texas. Joe Savage, qui avait été trois fois accusé de meurtre, et qu’on soupçonnait d’avoir commis un grand nombre de vols, avait été placé sous mandat d’arrêt pour assassinat d’un respectable fermier dans le voisinage de Fort-Worth. Le constable, assisté de deux jeunes gens, le découvre dans une maisonnette de la banlieue et lui signifie ce mandat. L’inculpé, loin de prendre la chose au tragique, invite le magistrat à boire, et celui-ci se garde bien de refuser : comme il portait le verre à ses lèvres, Savage décharge sur lui son pistolet et le tue net. Bagarre et confusion : l’assassin en profite pour prendre la fuite. Un groupe d’hommes indignés se met à sa recherche et le découvre. On le traîne jusqu’à l’arbre fatal ; et comme on a sous la main, par hasard, un grand pot de pétrole américain, il est décidé qu’on en enduira ses vêtemens pour le brûler séance tenante. On se met à l’œuvre en dépit des cris déchirans qu’il pousse. Les bourreaux passent la corde autour de son cou, l’attachent à l’arbre et mettent la torche en contact avec le pantalon de la victime. Après avoir contemplé pendant quelques instans une aussi curieuse agonie, ils tirent la corde, et le corps, qui flambe[1] en se tordant, est lancé dans l’espace.

14 mars. — Nous sommes à la Nouvelle-Orléans. Il s’agit du lynching qui va faire tant de bruit dans le monde et motiver le rappel du baron Fava, ministre d’Italie. Un meeting est convoqué pour dix heures, au pied de la statue de Clay. Avant l’heure indiquée, un flot de peuple se presse dans les rues voisines, et le lieu du rendez-vous est bientôt encombré : deux des principaux leaders du meeting, Parkerson et Wickliffe, apparaissent et sont accueillis par des acclamations frénétiques : « Hurrah pour Parkerson ! Hurrah pour Wickliffe ! » Trois mille hommes, sur le visage desquels on peut lire une implacable résolution, se poussent et s’entassent : la circulation est arrêtée, le silence s’établit, Parkerson a la parole. Il dénonce au peuple de la Nouvelle-Orléans « l’acte infâme » qui vient de s’accomplira la suite du crime le plus révoltant qu’aient enregistré les annales de la cité : l’acte infâme, c’est le verdict

  1. Lighting up the surrounding country, dit le texte américain.