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d’archevêque, les cadets nobles prédestinés aux dignités de l’église y avaient introduit le relâchement et les libertés qui étaient alors le privilège de l’épiscopat. Pendant les vacances[1], on y jouait des féeries, des pastorales, avec costumes et ballet, l’Installation du grand sultan, la Troupe des bergers enchaînés ; les séminaristes soignaient beaucoup leurs cheveux ; un coiffeur de mérite venait les accommoder ; la clôture n’était pas exacte : le jeune M. de Talleyrand savait s’échapper, commencer ou continuer en ville le cours de ses galanteries[2]. À partir du Concordat, dans les nouveaux séminaires, la discipline resserrée est devenue monacale ; ce sont des écoles pratiques, non de science, mais de dressage ; il s’agit bien moins de faire des hommes doctes que de former des prêtres convaincus ; l’éducation y prime l’instruction, et les exercices intellectuels se subordonnent aux exercices spirituels[3] : chaque jour la messe et cinq visites au saint-sacrement, avec station d’une minute à une demi-heure ; chapelet de soixante-trois pater et ave, litanies, angélus, prières à haute et à basse voix, examen particulier, méditation à genoux, lectures édifiantes en commun, silence jusqu’à une heure de l’après-midi, silence à table et audition d’une lecture édifiante pendant le repas, communions fréquentes, confession chaque semaine, confession générale

  1. Histoire de M. Emery, par l’abbé Élie Méric, I, 15, 17. « À partir de 1786, on continua de tolérer la comédie aux philosophes, aux Robertins et à la communauté de Laon ; elle fut exclue du grand séminaire, où elle n’aurait jamais dû entrer. » La réforme fut opérée par le nouveau directeur, RI. Émery, et rencontra la plus forte résistance, tellement qu’il faillit y perdre la vie.
  2. M. de Talleyrand, Mémoires, t. I. (Sur une de ses galanteries.) « Les supérieurs avaient bien dû avoir quelque soupçon… mais l’abbé Couturier leur avait enseigné l’art de fermer les yeux ; il leur avait appris à ne jamais faire de reproches à un jeune séminariste qu’ils croyaient destiné à occuper de grandes places, à devenir coadjuteur de Reims, peut-être cardinal, peut-être ministre, ministre de la feuille : que sait-on ? »
  3. Diary in France, by Christopher Wordsworth, D. D., 1845. (Faiblesse des études à Saint-Sulpice.) « Il n’y a pas de cours régulier d’histoire ecclésiastique. » — Aujourd’hui, encore point de cours spécial de grec pour apprendre à lire le Nouveau-Testament dans le texte original. — Le clergé français en 1890 (par un ecclésiastique anonyme), p. 24 à 38. « La grande et solide science nous fait défaut… Depuis longtemps, les candidats à l’épiscopat sont dispensés par bulle du titre de docteur. » — Au séminaire, discussions en latin barbare, questions surannées, bouts de texte découpés et enfilés : à Ils n’ont pas appris à penser… Leur science est nulle ; ils n’ont pas même un instrument et une méthode pour apprendre… Ce qu’ils ignorent le plus, c’est l’Évangile et Jésus-Christ… Un prêtre qui s’adonne à l’étude est (dans l’opinion) ou un pur spéculatif impropre au gouvernement, ou un ambitieux que rien ne peut satisfaire, ou encore un homme bizarre, d’humeur difficile et de caractère mal pondéré : nous vivons sous l’empire de cet inepte préjugé… Nous avons des archéologues, des assyriologues, des géologues, des philologues et autres savans à côté. Les philosophes, les théologiens, les historiens, les canonistes sont devenus rares. »