Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/269

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’écoles paroissiales pour l’enseignement primaire. — Fondation et entretien, tout cela coûte cher ; il faut à l’évêque beaucoup d’argent, surtout depuis que l’État, devenu malveillant, coupe autant qu’il peut les vivres au clergé, ne paie plus de bourses dans les séminaires, ôte aux desservans suspects leur petit traitement, rogne sur les appointemens des prélats, met obstacle aux libéralités des communes, taxe et surtaxe les congrégations, en sorte que non-seulement, par l’amoindrissement de ses allocations, il s’allège aux dépens de l’Église, mais encore, par l’accroissement de ses impôts, il charge l’Église à son profit. Tout l’argent nécessaire, l’épiscopat le trouve par des quêtes à l’église et à domicile, par les dons et souscriptions des fidèles, et, chaque année, il lui faut des millions, en dehors de la subvention budgétaire, pour ses facultés et universités, où il installe des professeurs largement rétribués, pour la construction, la location, l’aménagement de ses innombrables bâtisses, pour les frais de ses petites écoles, pour l’entretien de ses dix mille séminaristes, pour les dépenses de tant d’instituts charitables ; et c’est l’évêque, leur promoteur en chef, qui doit y pourvoir, d’autant plus que souvent il s’y est engagé d’avance et que, par sa promesse écrite ou verbale, il est responsable. À tous ces engagemens, il suffit ; il a des fonds pour chaque échéance. En 1883, celui de Nancy, ayant besoin de cent mille francs pour bâtir une école avec un ouvroir, parle à quelques dizaines de personnes convoquées dans son salon ; l’une d’elles tire dix mille francs de sa poche, et les assistans souscrivent soixante-quatorze mille francs, séance tenante[1]. Pendant son administration, le cardinal Mathieu, archevêque de Besançon, a recueilli et dépensé ainsi quatre millions. Ces jours-ci, le cardinal Lavigerie, à qui le budget donne quinze mille francs par an, écrivait qu’il en dépense dix-huit cent mille et qu’il n’a pas de dettes[2]. — Par cette initiative et cet ascendant, l’évêque devient un centre de ralliement social ; il n’y en a plus d’autres en province, rien que des vies disjointes, juxtaposées, maintenues ensemble par un cadre artificiel, appliqué d’en haut et du dehors ; partant, nombre d’entre elles, et des plus considérables, viennent, surtout depuis 1830, se grouper autour du dernier noyau permanent, faire corps avec lui ; il est le seul point germinant, vivace, intact, qui puisse encore agglutiner et organiser des volontés éparses. Naturellement, à l’intérêt catholique qu’il représente, des intérêts de classe et de parti s’agrègent par surcroît, et son autorité ecclésiastique devient une influence politique ; outre

  1. La Charité à Nancy, par l’abbé Girard, p. 87. Vie du cardinal Mathieu, par M. Basson, 2 vol.
  2. Décembre 1890.