Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/263

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

choisit exprès pour le mettre dans celles où il y a des maires difficiles, chicaniers, méchans, impies. » C’est pour le bien du service et dans l’intérêt de l’Église. A cet intérêt supérieur, l’évêque subordonne les personnes. La législation de 1801 et de 1802 lui a conféré de pleins pouvoirs, et il les exerce ; parmi tant de prises qu’il a obtenues sur son clergé, l’amovibilité est la plus forte, et il en use. Dans toutes les institutions civiles ou ecclésiastiques, Napoléon, directement ou par contre-coup, a mis son esprit, l’esprit militaire ; de là le régime autoritaire, encore mieux établi dans l’Église que dans l’État, parce qu’il est dans l’essence de l’institution catholique ; bien loin de s’y détendre, il y est devenu plus strict ; à présent, il y est avoué[1], proclamé, et même canonique ; de nos jours, l’évêque, en fait et en droit, est un général de division, et, en droit comme en fait, ses curés ne sont plus que des sergens ou caporaux. D’un grade si haut sur des grades si bas, le commandement tombe droit avec une force extraordinaire, et, du premier coup, entraîne l’obéissance passive. La discipline, dans un diocèse, est aussi parfaite que dans un corps d’armée, et, publiquement, les prélats s’en font gloire. « C’est une insulte, disait au sénat le cardinal de Bonnechose[2], de supposer que nous ne sommes pas maîtres chez nous, que nous ne pouvons pas diriger notre clergé, que c’est lui qui nous dirige… Il n’y a pas un général dans cette enceinte qui acceptât le reproche de ne pas se faire obéir par ses soldats. Chacun de nous a aussi son régiment à commander, et ce régiment marche. »


III

Pour faire marcher une troupe, un bâton, même pastoral, ne suffit pas ; avec la subordination forcée, il faut encore dans les hommes la subordination volontaire ; par suite, avec l’autorité

  1. Vie de M. Dupanloup, par l’abbé Lagrange, II, p. 43 : « M. Dupanloup croyait l’amovibilité pastorale très favorable, pour ne pas dire nécessaire, à la bonne administration d’un diocèse, au bon service des paroisses, à l’honneur même des prêtres et de l’Église, eu égard à la difficulté des temps où nous vivons. L’inamovibilité a été instituée pour des temps et des pays heureux où les peuples remplissaient tous leurs devoirs et où le ministère sacerdotal pouvait n’être qu’un simple ministère de conservation ; aujourd’hui, c’est un ministère de conquête et d’apostolat. Donc il faut que l’évêque puisse disposer de ses prêtres selon leur aptitude à cette œuvre, selon leur zèle et leurs succès possibles, comme dans un pays à convertir. » — Contre l’officialité et la publicité de ses jugemens : « Il ne faut pas qu’elle fasse, d’un malheur réparable, un scandale que rien ne pourra réparer. »
  2. Moniteur, séance du 11 mars 1865.