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maintenait dans sa dépendance se sont rompues ou relâchées une à une. Parmi les articles organiques, presque tous ceux qui assujettissaient ou réprimaient l’évêque sont tombés en discrédit et en désuétude. Cependant, tous ceux qui autorisaient et exaltaient l’évêque demeuraient en vigueur et continuaient leur effet. En sorte qu’à son endroit, comme à l’endroit du pape, le calcul de Napoléon s’est trouvé faux ; il avait voulu rassembler dans le même personnage deux caractères incompatibles, convertir en agens de l’État des dignitaires de l’Église, faire des potentats qui fussent des fonctionnaires. Insensiblement, le fonctionnaire a disparu ; seul le potentat a subsisté et subsiste.

Aujourd’hui, conformément au statut de 1802, le chapitre cathédral[1], sauf en cas d’intérim, est un corps sans vie et mort-né, un vain simulacre ; en titre et sur le papier, il est toujours « le sénat » canonique, « le conseil » obligatoire de l’évêque[2] ; mais celui-ci prend ses conseillers où il lui plaît, hors du chapitre, si cela lui convient, et il est libre de n’en pas prendre, « de gouverner seul, de tout faire par lui-même. » C’est lui qui nomme à tous les emplois, aux cinq ou six cents emplois de son diocèse ; il en est le collateur universel, et, neuf fois sur dix, le collateur unique ; sauf aux huit ou neuf places de chanoines et aux trente ou quarante cures de canton, pour lesquelles il doit faire approuver ses choix par le gouvernement, il nomme seul et sans le concours de personne. Ainsi, en fait de grâces, ses clercs ne peuvent rien attendre que de lui. — Et, d’autre part, contre ses sévérités, ils n’ont plus de sauvegarde ; de ses deux mains, celle qui châtie est encore moins liée que celle qui récompense ; ainsi que le chapitre cathédral, le tribunal ecclésiastique a perdu sa consistance, son indépendance, son efficacité ; de l’ancien officiai, il ne reste qu’une apparence et un nom[3]. Tantôt l’évêque, de sa personne, est, à

  1. Encyclopédie théologique, par l’abbé Migne, IX, p. 465. (M. Émery, les Nouveaux chapitres cathédraux, p. 238) : « L’usage en France est tel à présent, de droit commun, que les évêques gouvernent seuls leurs diocèses sans la participation d’aucun chapitre. Ils appellent seulement dans leurs conseils ceux qu’ils jugent à propos, et ils tirent ces conseillers du chapitre de leur cathédrale ou d’autres églises, à leur choix. »
  2. Id., ibid. : « Malgré tous ces beaux titres, les membres du chapitre peuvent n’avoir aucune part au gouvernement du diocèse pendant la vie de l’évêque ; tout dépend du prélat, qui peut tout faire par lui-même, ou, s’il a besoin d’aides, les prendre hors du chapitre. » — Ibid., p. 445. Depuis 1802, en France, « les chanoines titulaires sont nommés par l’évêque et, après, par le gouvernement, qui leur fait un traitement : ce n’est plus que l’ombre de l’organisation canonicale dont ils ont cependant tous les droits canoniques. »
  3. L’abbé André, Exposition de quelques principes fondamentaux de droit canonique, p. 187. (Il cite à ce sujet un écrit de M. Sibour, alors évêque de Digne.) — « Depuis le Concordat de 1801, l’absence de toute procédure déterminée pour le jugement des clercs n’a plus fait dépendre ces accusés que de la conscience de l’évêque comme juge et de ses lumières. L’évêque a donc été non-seulement de droit, mais de fait, pasteur et juge unique de son clergé, et, sauf des cas très rares, nulle limite extérieure n’a été posée à l’exercice de son autorité spirituelle. »