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séjour, il invitait à sa table les plus qualifiés, et, dans son palais épiscopal ou dans sa maison de campagne, il les traitait en hôtes. Cela fait, son office était rempli ; le reste regardait ses secrétaires, officiers et commis ecclésiastiques, hommes de bureau, spécialistes et travailleurs qu’on appelait des « bouleux. » « Avez-vous lu mon mandement ? » disait un évêque à Piron. Et Piron, qui avait son franc parler, osait bien répondre : « Oui, monseigneur. Et vous ? »

Sous le régime moderne, ce suzerain d’apparat, négligent, intermittent, a pour successeur un souverain actif dont le règne est personnel et continu : dans le diocèse, la monarchie limitée et tempérée s’est convertie en monarchie universelle et absolue. Une fois institué et sacré, quand l’évêque, dans le chœur de sa cathédrale, au chant des orgues, sous l’illumination des cierges, à travers les fumées de l’encens, vient, en pompe solennelle[1], s’asseoir « sur son trône, » c’est un prince qui prend possession de ses états, et cette possession n’est point nominale ou partielle, mais réelle et totale. Il tient en main « la superbe crosse que les prêtres de son diocèse lui ont offerte, » en témoignage et symbole de leur obéissance volontaire, empressée, plénière ; et ce bâton pastoral est bien plus long que l’ancien. Dans le troupeau ecclésiastique, il n’y a plus de tête qui paisse à distance ou à couvert ; hautes ou basses, toutes sont à portée, toutes regardent du côté de la houlette épiscopale ; la houlette fait un signe, et, selon le signe, chaque tête incontinent s’arrête, avance ou recule : elle sait trop bien que le berger a les mains libres et qu’elle est à sa discrétion. Dans sa reconstruction du diocèse, Napoléon n’a relevé qu’un des pouvoirs diocésains, celui de l’évêque ; il a laissé les autres à bas, par terre. Il répugnait aux lenteurs, aux complications, aux frottemens du gouvernement divisé ; il ne goûtait et ne comprenait que le gouvernement concentré ; il trouvait commode de n’avoir affaire qu’à un seul homme, à un préfet de l’ordre spirituel, aussi maniable que son collègue de l’ordre temporel, à un grand fonctionnaire mitre ; à ses yeux, tel était l’évêque. C’est pourquoi il ne l’obligeait pas à s’entourer d’autorités constitutionnelles et modératrices ; il ne restaurait pas l’ancienne officialité et l’ancien chapitre ; il permettait à ses prélats d’écrire eux-mêmes le nouveau statut diocésain.— Naturellement, dans le partage des pouvoirs, l’évêque s’est réservé la meilleure part, toute la substance, et, pour borner son omnipotence locale, il n’est resté que l’autorité laïque. Mais, en pratique, les entraves par lesquelles le gouvernement civil le

  1. Le Monde, numéro du 9 novembre 1890. (Détails, d’après les journaux de Montpellier, sur la cérémonie qui vient d’avoir lieu dans la cathédrale de la ville pour la remise du pallium à M. Roverié de Cabrières.)